Critique | Livres

Le livre de la semaine : des Inédits d’Edouard Levé réunis dans un joli recueil

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© P.O.L

Edouard Levé, Éditions P.O.L

Inédits

512 pages

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© National

Avant la possible publication de son journal, voici une première salve d’écrits inédits du regretté “écrivain-artiste” Édouard Levé. réjouissant.

Dans sa préface à ces Inédits, l’écrivain Thomas Clerc compare son ami Édouard Levé à l’immense Marcel Duchamp. On ne protestera pas, car comme Clerc le rappelle, “après tout les écrivains-artistes ne sont pas si nombreux dans la littérature française”. Mais c’est à un autre dadaïste ou assimilé que l’on pense aussi à l’évocation d’Édouard Levé: Jacques Rigaut. Levé ne voyageait pas “avec son suicide à la boutonnière” comme le scandait Rigaut, mais il est lui aussi indissociable de son suicide, qu’il annonça de manière détournée dans… Suicide (le narrateur y raconte le suicide d’un ami), dont il déposa le manuscrit à son éditeur quelques jours à peine avant de se donner la mort en octobre 2007, à 42 ans.

Il avait d’abord sévit dans l’art contemporain, principalement en tant que photographe. Amateur, comme Duchamp d’ailleurs, de l’œuvre de Raymond Roussel, il finira lui aussi par se lancer dans l’écriture. S’il débuta avec Œuvres, génial catalogue d’idées d’œuvres qu’il n’a pas réalisées (mais qui le seront plus tard pour certaines, par lui ou d’autres), l’artiste n’était pas pour autant une sorte de seconde Sophie Calle alignant les concepts à la chaîne: il s’était véritablement investi dans l’écriture. À travers une quête constante d’une certaine idée du beau, il expérimentait, se questionnait notamment sur la notion de style -“mon modèle est l’absence de style”, martèle-t-il ici. De fait, son écriture paraît froide, mais s’avère d’une précision clinique.

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Ainsi, dès le début de ces écrits tout neufs réunis sous l’intitulé Inédits (un titre d’une sobriété toute levéesque), dans un roman inachevé nommé Amérique, Levé déambule dans ce pays de l’excès qu’il ausculte avec son œil attentif au moindre détail. On s’y délecte de ses digressions à foison, comme celle, mémorable, sur Les Dents de la mer de Steven Spielberg, dont le visionnage lui a “gâché pour la vie le plaisir de nager sans angoisse. S’ensuit une longue diatribe contre l’usine à rêves hollywoodienne… Puis, c’est au tour d’un “dictionnaire” fantaisiste, inachevé lui aussi, enchaîné avec l’oulipien Abécédaire de tourisme expérimental: adopterez-vous le concept de vénéto-tourisme (à savoir la visite “si possible en canoë, des villes qu’on appelle les “Venise de…””), ou tout bêtement de “tourisme: inclination particulière pour les tours, beffrois, clochers…”?

L’ouvrage fait office de best of, de compilation en vrac de tout ce que Levé a publié au rayon littérature. On y retrouve même quelques poèmes, des articles ou chroniques pour la presse, des descriptions de performances dont on ignore “si et où” Édouard Levé les a effectuées. Ces Inédits inespérés poursuivent et valident l’œuvre littéraire ô combien marquante de cet “écrivain-artiste” nécessaire. Dans le compte rendu désabusé d’un passage à la FIAC, qu’il abhorrait, face à quelques croûtes immondes, il se rassure: “Je sers peut-être à quelque chose.

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