Le journaliste Mathieu Vidard nous dit tout sur les incroyables évolutions du pouce
Animateur et producteur de l’émission La Terre au carré sur France Inter, Mathieu Vidard publie un excellent essai sur la grande aventure du premier doigt de la main: Sur le pouce (éditions Grasset). Focus lui donne carte blanche sur le sujet.
« La tribu du pouce ». C’est à la fin des années 90 que naît au Japon le terme oyayubi zoku pour désigner les jeunes gens capables d’envoyer des SMS à la vitesse de l’éclair grâce à l’usage de leurs précieux appendices digitaux.
L’avènement des téléphones portables s’accompagne de nouveaux gestes chez ces usagers particulièrement habiles du pollex, ce qui entraîne aussi un véritable fossé générationnel entre les adeptes du pouce et ceux de l’index. Les digital natives nés entre les années 1980 et 2000 et qui ont grandi dans un environnement numérique se démarquent très nettement de leurs aînés concernant la dextérité face à un clavier de téléphone.
En 2019, une vaste étude internationale menée auprès de 37 000 volontaires comparait la vitesse d’écriture des individus sur les appareils mobiles. Verdict: 74 % des personnes tapant avec leurs deux pouces enregistraient une augmentation significative de leur vitesse. Et ce sont les 10-19 ans qui se démarquaient des autres tranches d’âge avec une frappe leur permettant d’atteindre 39 mots à la minute en moyenne lorsque les quinquagénaires parvenaient péniblement à 26 mots! Le résultat est sans appel: plus on est vieux et moins on tape vite sur un smartphone.
Le pouce du futur
Selon une autre étude de l’Université de Warwick en Angleterre publiée en 2002, cette dextérité du pouce aurait même entraîné des changements physiologiques avec un pouce devenu physiquement plus fort et plus flexible chez de nombreux jeunes. Un calcul réalisé en 2021 par l’agence marketing Ilk basé sur un temps moyen quotidien de 49 minutes passé à scroller sur les écrans de smartphones ferait parcourir in fine à nos pouces 83 kilomètres chaque année soit l’équivalent de deux marathons! Nous sommes donc nombreux à être de grands champions qui s’ignorent!
Mais l’usage frénétique de nos pouces a aussi ses revers. Une utilisation excessive de ce doigt peut en effet entraîner un certain nombre de pathologies allant de l’entorse à la fracture. Baptisés « Nintendonites », des cas de tendinites du long extenseur du pouce ont été signalés chez des joueurs compulsifs ayant passé des heures sur des consoles de la marque Nintendo. Des douleurs de plus en plus fréquentes du pouce seraient également en augmentation constante chez les utilisateurs de smartphone qui sollicitent leur doigt pour maintenir fermement leur appareil tout en tapant des SMS.
De là à imaginer que l’évolution produise un pouce mutant dans le futur, il n’y a qu’un pas, que de nombreux esprits se sont empressés de franchir.
L’utilisation intensive de nos pouces ne pourrait-elle pas en effet entraîner une mutation génétique? Soyez rassurés, une telle particularité morphologique prendrait un temps infini à l’échelle de l’évolution et d’ici là de nouveaux usages technologiques, comme la reconnaissance vocale ou les interfaces cerveau-machine, se seront imposés.
N’oublions pas qu’en s’opposant à la pulpe des autres doigts, le pouce forme une pince d’une efficacité redoutable. Cet outil, malgré son apparente simplicité, a fait ses preuves depuis des millions d’années chez les primates en nous permettant de fabriquer et de saisir toutes sortes de choses. Nous pouvons donc dormir sur nos deux oreilles de bipèdes, le pouce conservera encore pendant longtemps ses qualités remarquables et son équilibre parfait sans devenir un gros boudin au creux de notre main.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici