Critique | Livres

Le Dernier Rêve: des récits comme portes d’entrée dans la tête de Pedro Almodovar

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Pedro Almodovar © Nico Bustos

Pedro Almodovar, Flammarion

Le Dernier Rêve

240 pages

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Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le cinéaste espagnol Pedro Almodovar se livre à sa manière dans Le Dernier Rêve, compilation de récits écrits sur plus d’un demi-siècle mêlant la fiction et l’intime. Semejante Pedro!

On ne spoilera rien de ce recueil de douze textes de Pedro Almodovar en en livrant la dernière phrase, bien à l’image de son auteur qui n’aime rien faire comme personne, et finit donc par le commencement: “Je suis né au début des années 1950, une sale époque pour les Espagnols, mais formidable pour le cinéma et la mode”. Une pirouette qui répond cette fois à son incipit plein d’ironie: “J’ai toujours refusé d’écrire mon autobiographie, bien qu’on me l’ait souvent proposé”.

Entre les deux, 240 pages et 12 récits qui ne forment donc pas une auto-bio à proprement parler, mais qui offrent pourtant un portrait remarquable de leur auteur, à la fois “morcelé, incomplet et cryptique” et donc parfaitement à son image et à celle de son cinéma: joyeux, foutraque, plein de vie et d’exubérance, mais aussi de profondeur et de mélancolie, avec un lien presque troublant tant il est “étroit entre ce que j’écris, ce que je filme et ce que je vis. (…) Je crois que le lecteur finira par y trouver beaucoup d’informations sur moi comme réalisateur, comme affabulateur (écrivain), et sur la façon dont tout se mélange dans ma vie”.

Bombe (littéraire) à fragmentation

Un récit de jeunesse (Vie et mort de Miguel) sur un monde où l’on nait le jour de sa mort; “un mauvais roman” écrit en 2023 où il se livre sur son syndrome de l’imposteur en matière d’écriture (pure coquetterie); des récits (La Visite, Trop de changements de genre) qui sont devenus en tout ou en partie des films (La Mauvaise Éducation, Douleur et Gloire), d’autres qui peut-être le deviendront encore un jour; la Confession d’une sex-symbol bourré d’humour et d’excès, typique des premiers films du cinéaste de La Movida; quelques pages qui évoquent un journal (Souvenir d’un jour vide) soudain vertigineux d’angoisse existentielle; et partout ou presque beaucoup de femmes, des rires, quelques prêtres, des travestis, et puis sa mère, dans le texte soudain le plus bouleversant de l’ensemble (Le Dernier Rêve, justement), écrit au lendemain de sa mort et de ses derniers mots, s’inquiétant d’un orage alors qu’il faisait très beau, avec cette question qui semble depuis hanter Almodovar: “À quelle orage ma mère faisait-elle référence dans son dernier rêve?”.

Certes mélangés sans chronologie linéaire, tous ces récits qu’Almodovar lui-même considère comme “des récits initiatiques (je considère cette étape toujours en cours)” résonnent en tout cas directement avec les 24 films du cinéaste (en attendant la vision de sa Chambre d’à côté fraîchement auréolée du Lion d’Or à la Mostra de Venise) et sont les témoins d’un même parcours d’artiste génial, révolutionnaire devenu mélancolique. Incontournable donc, pour ses aficionados comme pour les autres.

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