Le Dernier Atlas, meilleure BD pop de ces dernières années
Les « binge readers » l’attendaient avec impatience: la suite du Dernier Atlas est enfin disponible. Un nouveau gros pavé entre thriller et SF, et la meilleure BD pop de ces dernières années.
Cette fois ça y est: le « George Sand », soit le dernier robot-géant de la classe des Atlas encore plus ou moins entier et en état, est prêt à s’extraire des boues indiennes où il gisait depuis des décennies. Ismaël Tayeb, anti-héros central de ce récit aux trames multiples et interconnectées, semble avoir réussi à blouser la mafia qui l’emploie et à regrouper l’équipage nécessaire pour mener à bien une mission qui le dépasse et s’impose à lui: rejoindre le parc de Tassili en Algérie où un UMO est littéralement sorti de terre, et combattre celui-ci avec son robot géant. UMO comme « Unidentified Moving Objet », un objet mobile non-identifié dont on ne connait encore rien de la puissance ou des origines, mais dont l’étrange logo est apparu sur le front du bébé de Françoise Halfort, une ancienne reporter de guerre qui s’est retrouvée enceinte à 53 ans après être passée par Tassili. Celle-ci doit maintenant fuir pour mettre l’étrange bambin à l’abri… Ajoutez au tableau une vingtaine, au moins, de personnages récurrents, dont de brillantes ingénieurs indiennes, un truand russe, des vieux pilotes, un cul-de-jatte et toute une série de bandits, de la petite frappe sympa au grand ponte fou dangereux, le tout sur un fond mêlant collapsologie, guerre d’Algérie et grande aventure, et vous obtenez le deuxième tome -de plus de 200 pages!- de la meilleure BD de divertissement (mais pas que) de ces dernières années, qui puise elle-même dans le meilleur de la pop culture, entre séries télé et combats de robots géants, et qui aura fait ressortir le meilleur de son quintet d’auteurs nantais, tous au sommet de leur art. À commencer par Hervé Tanquerelle, qui s’est chargé du dessin de cette grande aventure: un semi-réalisme à la fois expressif et très lisible, clé du succès et du souffle de cet incontournable Dernier Atlas.
Grosse machine
« Au début, j’avais peur d’être l’erreur de casting« , explique dans un excès de modestie le dessinateur des Voleurs de Carthage, du Professeur Bell, de Lucha Libre ou de Groenland Vertigo, et qui fut aussi le rédacteur en chef de la revue numérique Professeur Cyclope, où est né concrètement le projet du Dernier Atlas, il y a près de dix ans. « J’avais conscience de l’ampleur du monstre, et de la manière dont j’allais devoir pousser mon dessin vers plus de réalisme, plus que je ne l’avais jamais fait. J’ai mis longtemps à me sentir à l’aise. C’est une grosse machine, comme notre robot, mais nous avons aussi un équipage qui fonctionne à merveille. On se connaît tous depuis très longtemps, nous sommes tous très pointilleux et nous sommes tous mus par les mêmes envies, les mêmes rails: l’amour du récit d’aventure et de la fiction, avec ce besoin d’insuffler du fond dans du divertissement, de ne pas prendre les lecteurs pour des idiots. »
Une manière de faire née dans les pages de la revue Capsule Cosmique dès 2004 et un bagage commun qui profite aujourd’hui pleinement à ce Dernier Atlas, à la mécanique mieux huilée que les rouages du « George Sand »: « Fabien (Vehlmann) et Gwen (de Bonneval) me fournissent un scénario écrit, chapitre par chapitre, sur lequel je passe beaucoup de temps au découpage. Un découpage supervisé par Fred (Blanchard), qui assure entre autres et aussi les designs des machines et de l’UMO. Je réalise ensuite tout à la main et à l’encre de Chine, je retouche à l’ordinateur et enfin Laurence Croix assure les couleurs, devenues très importantes pour la lisibilité du récit. » Et quand on lui fait remarquer que la réussite de ce Dernier Atlas tient aussi, peut-être surtout, dans la formidable comédie humaine qui se met en place derrière les robots géants, Hervé Tanquerelle confirme: « C’est vraiment ce qui m’excite le plus ici, et dans la bande dessinée: faire vivre des personnages, les rendre crédibles, réalistes, et permettre aux lecteurs de rentrer en empathie ou en haine avec eux, tout en restant dans un dessin très lisible et expressif. Je suis moi plus passionné par les humains que par les robots géants! »
La thématique de la guerre d’Algérie prend ainsi dans ce deuxième tome toute son importance, et en est même devenu « l’un des marqueurs importants ». « C’est un sujet qui tenait particulièrement à coeur à Fabien. Son père était militaire et pilote pendant la guerre, et comme il le dit lui-même, ça reste une hantise française, encore très peu explorée, avec laquelle le pays entretient des rapports beaucoup plus complexes que les USA avec la guerre du Viêtnam, par exemple. » Le biais de l’uchronie (un détail de l’Histoire déraille en 1918, créant une autre Histoire, qui voit la guerre d’Algérie éclater en 1968 plutôt qu’en 1954) permet ainsi aux auteurs de mêler fiction et faits réels sans heurter, mais sans minimiser non plus les exactions qui y furent commises. Une profondeur bienvenue, et qui donnera envie de relire les 400 premières pages de récit-fleuve et pop avant d’en connaître enfin le dénouement, d’ici un an. « J’en ai déjà dessiné 60 pages, et sans rien pouvoir en dire, je suis étonné de l’écho qu’il donne au confinement que l’on vient de connaître… Je me sens parfois dans la peau d’une Cassandre! »
Le Dernier Atlas (2/3), de Fabien Vehlmann, Gwen de Bonneval, Hervé Tanquerelle, Fred Blanchard et Laurence Croix, éditions Dupuis, 232 pages. *****
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