Lauren Bastide imagine l’espoir de demain dans son premier roman « 2060 »
Ancienne journaliste (Elle, France Inter, Canal+), Lauren Bastide s’est fait aussi connaître avec son podcast La Poudre. Elle publie aujourd’hui sa première fiction, 2060, un condensé de ses luttes féministes.
On retrouve Lauren Bastide à son hôtel, en bord de canal à Bruxelles. Pull vintage, Crocs turquoise aux pieds, jeans et léger agacement après une longue journée de promo. Dans notre sac, son premier roman, 2060. Le résumé? “Le dernier jour d’une vie et le dernier jour du monde.” On dira aussi que c’est un livre d’espoir malgré sa fin tragique, un livre de lumière et de vies. Un livre qu’elle a écrit en écho à la rédaction de son essai Futur·es sous-titré Comment le féminisme peut sauver le monde (éditions Allary). “J’écrivais l’essai sur un ordi la journée, puis au stylo dans mon lit le soir, le roman”. Futur·es est “né d’un élan plutôt optimiste, de cette envie, de cette impression que quand on faisait le tour de la pensée féministe, quand on allait explorer l’écoféminisme, la pensée du care, la justice réparatrice, la pensée queer, on allait trouver une sorte de formule qui allait nous sauver, qui allait toucher tout le monde dans la société, qu’on allait construire un monde plus durable et plus vivable pour nos enfants, pour les générations à venir.” Un livre ultra-documenté aussi, son éditeur lui ayant demandé de “trouver des endroits où ça marche, montrer que c’est possible, déjà appliqué”. Sauf que ce n’est pas vraiment comme ça que ça a marché.
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S’asseoir, résister
Enfin, elle les a quand même trouvés, ces endroits où ça marche. Les nouvelles luttes féministes, politiques et englobantes, les procès qu’on ose -Lauren est de celles contre PPDA, qui l’a “invitée dans son bureau”, et de celles dont la sœur s’est fait tuer par un “mascu”, elle est de celles dont la mère fut féministe à sa façon, épaulettes des nineties et jonglage entre vie pro et perso-, mais aussi changements de réalités, de sexualité, d’ordre établi. Mais malgré tout ça, Futur·es n’est pas le livre positif qu’elle voudrait. Il est empli de tristesse. Parce que Futur·es est un affligeant constat: celui d’un monde où les femmes n’existent pas, sauf pour se faire violer et dominer, un monde qui les tait. Et tait les hommes aussi, en soulignant l’impact des viols d’enfants mâles. L’autrice rappelle que le féminisme n’est pas la haine des hommes, mais la volonté d’égaliser. “C’est super important de rappeler que les anti-féministes peuvent être aussi bien des femmes que des hommes.”
Alors on serait tentée de vouloir, comme elle, un livre où l’espoir est encore là, les souvenirs toujours présents d’une vie libre, loin des constats alarmants. Elle l’a écrit avant nous en écrivant 2060. “C’était compliqué pour moi de ne pas entendre une petite voix au fond de moi. Quand tu lis les rapports du GIEC, quand tu vois la montée de l’extrême droite dans le monde, tous ces pays où elle prend le pouvoir, il y a quand même beaucoup de raisons de s’inquiéter, et il y a cette part sombre en moi, qui craignait et craint toujours, qui souffre d’éco-anxiété. Donc, pendant que j’étais en train d’écrire cet essai, il y avait une part inconsciente de moi qui produisait une fiction, une dystopie, comme si cette fiction était venue exorciser toutes les parts que je ne pouvais pas nécessairement explorer dans l’essai Futur·es. Je suis allée chercher en moi de l’apaisement face aux peurs, aux sentiments que je pouvais ressentir. Cet apaisement, je l’ai retrouvé dans l’instant présent, dans la contemplation, dans la beauté, dans la nature. Donc je l’ai réinjecté dans mon personnage qui s’agrippe à ces outils-là jusqu’à la dernière minute et qui reste assez digne jusqu’à la dernière minute.”
Et puis Lauren Bastide voit demain. Cet après essentiel qu’elle fait lire entre les lignes dans 2060. La façon de transmettre, d’abord aux enfants et à ceux qui viennent après nous. “La meilleure façon de les éduquer, c’est d’incarner. C’est leur montrer l’exemple. Si les enfants ont sous leurs yeux des modèles parentaux où il n’y a pas une répartition trop genrée des tâches ménagères, où il n’y a pas une répartition trop genrée de l’endroit où se situent l’autorité, la force, la douceur, le soin, eh bien ça ira. Et puis je pense aussi que la génération qui arrive a de toutes façons déjà franchi des étapes.” Mais pas que. Parce qu’au-delà du féminisme et des batailles contre l’ordre établi, ce que veut Lauren, c’est remettre de l’ordre humain, Faire comprendre à ses lectrices -et lecteurs, qui sont de plus en plus nombreux-, que le féminisme n’est pas un modèle figé. Elle a décidé d’arrêter La Poudre, son podcast féministe, parce qu’elle estime avoir atteint la fin d’un cycle. Elle souhaite en commencer un autre qui traite de la santé mentale. Parce que, comme elle le dit, “si j’avais terminé Présentes (son premier essai, NDLR) en faisant claquer les mots plein de rage de Virginie Despentes -“On se lève et on se casse”-, je choisis ces mots aujourd’hui: “On s’assoit et on ne bouge plus. On ne bouge plus jusqu’à ce qu’ils aient compris.” Alors, à côté d’elle, asseyons-nous.
2060 ***(*)
De Lauren Bastide, éditions Au Diable Vauvert/Nouvelles Lunes, 104 pages.
Elle a 80 ans. Elle est dans sa maison à Paris, cernée par la montée de l’eau. Elle a son jardin, ses fleurs, ses livres et ses souvenirs. Elle n’a pas de prénom, mais le nom de toutes celles qui ont vécu avant elle. Elle est forte de tout ce qu’elle a pu vivre. Elle, c’est l’héroïne de 2060, qui vit heure par heure le dernier jour du monde et donc de sa vie. Lauren Bastide a écrit 2060 à l’encre des colères et des luttes. Un roman d’où sourd le féminisme incarné. Parce que 2060, c’est le dernier jour d’une femme dont on ne connaît pas le nom mais dont on connaîtra les luttes. Elle fut épouse, mère, amante d’une femme, amante d’un homme. S’égrènent dans ce livre ces heures avant la fin du monde: le réveil, à la pointe de ce jour particulier, sensuel malgré tout, puis les heures qui suivent, en promenades, endormissements et réveils. Tout est doux, même ce monde qui gronde et se protège de l’irréel. Un irréel hallucinant, comme un futur proche. Si l’écriture de Lauren Bastide, dans ses essais, emprunte les voies de l’humour et du style direct, incisif, ce 2060 est empreint de mélancolie douce, d’apaisement. Son écriture se laisse avaler doucement, comme le signe d’une fin d’un monde. Pour pouvoir passer au suivant.
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