La lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne (classiques de la littérature 1/7)

Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

Édifiante histoire d’adultère sur fond de romantisme noir, La lettre écarlate est au milieu du XIXe siècle l’un des premiers pavés romanesques d’une psyché américaine hantée par l’idée de la faute.

La lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne (classiques de la littérature 1/7)
© Les belles lettres

Henry James disait qu’elle était l’oeuvre « la plus remarquable et la plus authentiquement américaine ». Au rayon du culte quasi religieux rendu à certaines oeuvres de leur patrimoine par les Américains, on demande La lettre écarlate. Ecrit à 46 ans par Nathaniel Hawthorne (1804-1864), écrivain bostonien de la génération romantique des Emerson, Melville et Edgar Allan Poe, le roman s’affiche dans les encyclopédies du bien lire comme le « tout premier chef-d’oeuvre de la littérature US »: c’est dire qu’il y a une forme d’urgence à le relire aujourd’hui -et une part de fébrilité à aborder ce qui est devenu un morceau de littérature quasi intimidant d’unanimité.

Récemment ressorti aux Belles Lettres, le récit se présente comme la reconstitution véridique de la vie d’une femme dans les contours mi-sauvages mi-défrichés de la Nouvelle-Angleterre du XVIIe siècle. Soit l’histoire d’Hester Prynne, jeune épouse que son mari envoie s’établir en éclaireuse à Salem avant de l’y abandonner sans nouvelles. Le jour de son retour, après deux ans, ce dernier la trouve en plein scandale: Hester ayant mis au monde une enfant illégitime, et refusant de révéler le nom du père, elle est condamnée à épingler en représailles de son péché et jusqu’à la fin de ses jours une lettre écarlate sur ses vêtements -un A comme Adultère. « Mais ce qui attirait tous les regards et transfigurait en quelque sorte la femme ainsi vêtue, si bien qu’hommes et femmes de son ancien entourage étaient à présent frappés comme s’ils la voyaient pour la première fois, c’était la LETTRE ÉCARLATE si fantastiquement brodée sur son sein. Elle faisait l’effet d’un charme qui aurait écarté Hester Prynne de tous rapports ordinaires avec l’humanité et l’aurait enfermée dans une sphère pour elle seule. » Hawthorne le laisse bien vite deviner -le livre ne fait pas dans cette tension-là-: le père de l’enfant n’est autre que le pasteur de la communauté, Arthur Dimmesdale, âme pâle et faible que le poids de sa faute non avouée commence à consumer de l’intérieur… Déplié sur trois protagonistes aux liens perversement entrecroisés, le triangle amoureux originel de La lettre écarlate monte en puissance quand Hawthorne délaisse volontiers Hester (incarnation un peu monolithiquement austère, digne et courageuse de la Faute et de la Résignation) pour le face à face de l’amant et du mari trompé -un sommet de persécution rentrée, morbide et littéralement diabolique.

Evidemment, on peut trouver un peu poussive l’attention hawthornienne pour les symboles et les signes, et vieillie la portée « grand pathétique » des descriptions exaltées que le Bostonien donne d’une nature à visage tourmenté et sorcier (Henry James déjà moquait ce passage où Dimmesdale, rongé de culpabilité, croit voir une immense lettre A dans les lignes rouges sombres de la nuit), il n’empêche: véritable best-seller à sa sortie, La lettre écarlate a tout du grand roman fondateur.

A comme Amérique

Descendant des pères de la Nouvelle Angleterre -et singulièrement d’un des juges qui a condamné des femmes pour sorcellerie à Salem en 1692-, Nathaniel Hawthorne a beau avoir pris l’air hors de sa communauté bostonienne et s’afficher en homme du monde, il reste hanté par la question du puritanisme caractéristique de l’époque coloniale. Et en fomente une histoire terrible. De celles qui plantent à tout jamais le germe des indémodables d’une sensibilité nationale. A le lire, on a la sensation fascinée et quasi archéologique de goûter à la source d’une tension dramatique insoluble qui infuse depuis toujours l’Amérique en clair-obscur, entre tentation du scandale et culpabilité souterraine, entre apparences proprettes et conscience démoniaque galopante. En 1850, avec The Scarlet Letter, la littérature américaine s’empare de ses archives et s’invente, conquiert ses espaces, trouve sa voix. Marquant d’une lettre rouge vif comme d’un sceau le meilleur à venir. De Faulkner à F. Scott Fitzgerald, de Philip Roth à Frederick Exley. Comme le disait D.H. Lawrence: « Tout commence par un A. Adultère. Alpha. Abel. Adam. Amérique. »

  • LA LETTRE ÉCARLATE, DE NATHANIEL HAWTHORNE, ÉDITIONS LES BELLES LETTRES, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR CHARLES CESTRE, 296 PAGES.

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