La BD, du livre pour enfants presque sages à la table du salon

La BD fait une entrée en force dans la catégorie des beaux livres. De Superman à Astro Boy en passant par Tarzan, il y en a pour tous les goûts et les couleurs.

On ne vous apprendra rien en affirmant que la bande dessinée s’est engouffrée dans l’ascenseur de la reconnaissance sociale ces dernières années. Direction: les étages supérieurs. De loisir pour enfants presque sages (les enfants vraiment sages lisaient des livres), la BD est devenue une occupation sérieuse qui peut se permettre d’explorer tous les sujets de société (du conflit israélo-palestinien au cancer du sein en passant par les névroses plus ou moins chroniques), tous les genres littéraire (polar, fantasy, uchronie, drame, etc.) et tous les délires graphiques (noir et blanc bien sûr mais aussi aquarelles ou clair-obscur flirtant avec la peinture comme chez De Metter).

Autre fruit de cette révolution: les maisons d’édition accordent désormais un soin tout particulier à la confection des albums. Asterios Polyp (Mazzucchelli) et Images interdites (Hyman et Paringaux) pour ne citer que deux exemples récents sont des petits bijoux design qu’on pourrait laisser traîner sur la table du salon pour le plaisir des yeux. Dans le même ordre d’idées, les beaux livres qui traitent de la BD par le petit ou le gros bout de la lorgnette se sont aussi multipliés. De quoi mettre l’eau à la bouche des bédéphiles de tous poils. On en a repéré six qui pourraient faire des heureux le soir du 24 ou du 31.

A tout seigneur tout honneur, commençons par la grosse pièce de cette sélection. Avec ses mensurations de bodybuilder (40 cm de haut, 10 kilos de muscles pour 720 pages!), le 75 years of DC Comics que s’offre pour ses 30 ans le rouleau-compresseur Taschen n’est pas le genre de livre qu’on lit dans son lit avant de s’endormir! Plus proche de l’enclume que du comic standard, il a des airs de forteresse imprenable. Mais une fois qu’on en franchit le portique, quel bonheur!

Guidé par l’ex-éditeur en chef de la fameuse écurie prestigieuse de superhéros (l’autre étant la Marvel), on plonge dans une saga amorcée en 1935 qui va écrire quelques-unes des plus belles pages de la culture populaire américaine. Batman, Superman, Wonder Woman ou l’infréquentable Green Lantern sont bien sûr du voyage. Leurs histoires (40.000 publications au total) ont régalé des générations de kids. Et diffusé dans le monde entier les recettes de la réussite et du courage à la sauce yankee. Avec ses 2000 images, ses centaines d’anecdotes et de bios de tous les acteurs de cette folle aventure, ce grimoire réveille un monde englouti dont le charme et l’inventivité graphiques continuent de faire des émules (la preuve avec ce numéro)…

Retour à la case départ

Si Tarzan n’est pas un surhomme, il incarne également un idéal masculin, bois de chauffage pour les imaginaires de plusieurs contingents de petits et grands enfants. Moi, Tarzan de Guy Deluchey remonte aux sources du mythe pour vérifier si l’image qu’on garde aujourd’hui de l’homme-singe est conforme à l’original (un lord anglais polyglotte mangeur de viande crue comme l’avait imaginé son créateur, Edgar Rice Burroughs). Un périple haut en couleurs (photos, dessins et affiches) dans la jungle des adaptations au cinéma et à la télévision (21 acteurs pour 43 films et 57 séries télévisées), des feuilletons radio et BD (500 émissions et 12.000 bandes dessinées au compteur) par un passionné érudit qui mène son enquête comme un explorateur pugnace. Dépaysement garanti.

A ceux que démange l’envie d’aller faire un tour dans les cuisines, on conseillera les yeux fermés (ou plutôt non, grands ouverts) 100 cases de maîtres. Thierry Groensteen, Gilles Ciment et leurs acolytes y dissèquent 100 dessins triés sur le volet (Franquin, Matotti, Bilal, Crumb, Ware, Mizuki…) représentant toute la palette des styles graphiques, du plus éthéré au plus élaboré. Une sémiologie tout sauf rébarbative qui donne le ton d’un art à géométrie variable.

Le Japon ne pouvait pas être absent de la fête alors que les mangas ont pris leurs quartiers dans la zone euro. Phaidon dégaine ainsi Manga Impact!. A rebrousse-poil des ouvrages qui mettent les petits plats iconographiques dans les grands, cette encyclopédie cultive un certain ascétisme qui en fait finalement son charme. Papier journal pâlot tapissé néanmoins de nombreuses images en couleurs, Manga Impact! fait le tour de la question en 300 notices. Idéal pour tout savoir sur le monde du manga et de l’animation japonaise (les deux étant intrinsèquement liés), de .Hack, une série télé locale lorgnant du côté du jeu vidéo, à Yuyama Kunihiko, le réalisateur de la série Pokémon.

Pour être complet, signalons encore deux livres qui s’aventurent sur des chemins plus escarpés. Le premier, signé également Thierry Groensteen, sillonne le vaste champ des Parodies, quand la BD se fait caustique, poil à gratter entre les mains de Gotlib, Lauzier ou Moore. Un livre de réflexion et d’analyse avant tout. Les illustrations sont d’ailleurs rares. Le second, presque l’exact contrepied du premier, exhume pour sa part la face sombre de la BD, quand le trait (et le cerveau qui le guide) se met au service d’une propagande, que ce soit pour le compte de l’industrie du tabac ou pour vanter les mérites du Patriot Act. Toute médaille a son revers…

75 Years of DC Comics, de Paul Levitz, Taschen. Prix: environ 150 euros.

Moi, Tarzan, de Guy Deluchey, Seuil. Prix: environ 39 euros.

100 cases de maîtres, de Thierry Groensteen et Gilles Ciment, éditions de la Martinière. Prix: environ 50 euros.

Manga Impact!, sous la direction de Carlo Chatrian et Grazia Paganelli, Phaidon. Prix: environ 40 euros.

La propagande dans la BD, de Frédéric Strömberg, Eyrolles. Prix: environ 30 euros.

Parodies. La bande dessinée au second degré, de Thierry Groensteen, Skira Flammarion. Prix: environ 32 euros.

Laurent Raphaël

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