Critique | Livres

[La BD de la semaine] Scalp, de Hugues Micol

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Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ONE SHOT | John Glanton a semé la terreur à l’époque de la conquête de l’Ouest. Hugues Micol retrace son parcours dans un récit au graphisme hallucinant.

Hugues Micol aime mélanger les genres. Western et fantastique dans sa série Chiquito La Muerte, science-fiction et érotisme dans La Planète des Vülves, ou encore SF, polar et fantastique dans la trilogie RomanjiSéquellesTumultes, prouesse formelle entre Nolan pour le mécano temporel, Kitano pour la violence chorégraphiée et Jodorowsky pour le surréalisme poétique.

Un penchant à l’hybridation qui ne se dément pas avec son petit dernier, Scalp, one-shot vénéneux mixant le western crépusculaire et le conte gothique. Pas étonnant quand on sait que Micol s’est inspiré en grande partie des mémoires de Samuel Chamberlain pour retracer le parcours sanguinaire de John Glanton dans l’Amérique expansionniste des années 1840. Soit le même terreau narratif que Cormac McCarthy pour son dantesque Méridien de sang.

La guerre de Sécession et les histoires héroïques de cow-boys solitaires ont quelque peu fait oublier une autre tranche saignante et antérieure de l’Histoire des États-Unis, à savoir la conquête territoriale vers l’Ouest sous couvert de dessein de la Providence. « Dieu nous a confié ce continent pour y répandre notre civilisation. C’est notre devoir de faire avancer la démocratie« , assène le général Taylor. Une extension qui se soldera par l’annexion du Texas d’abord, de la Californie ensuite, au détriment du Mexique. C’est dans ce climat anarchique que John Glanton va écrire sa sinistre légende. Rien ne prédestinait pourtant ce fils d’un modeste et pieux paysan à devenir un monstre sans foi ni loi. Éduqué dans la ferveur et la crainte de Dieu, le jeune homme marche droit jusqu’au jour où des Indiens violent et tuent sa promise…

Wild Wild West

[La BD de la semaine] Scalp, de Hugues Micol

Métamorphosé, il rejoint les Texas Rangers, sorte de milice supplétive des troupes régulières de l’Union. Son courage et sa cruauté -il scalpe ses victimes- ne passent pas inaperçus. Et bientôt son nom se répand comme une traînée de poudre dans tout l’État, suscitant autant l’admiration que la crainte. Mais ses « exploits » finissent par embarrasser et le « prince noir » comme on l’appelle est obligé de quitter l’armée.

Pas de quoi le freiner dans son entreprise criminelle. Engagé par les autorités d’une ville mexicaine frontalière confrontée aux attaques des Apaches, Glanton et sa horde de soudards vont éliminer tous les Indiens, femmes et enfants compris, qu’ils croisent sur leur route. Un génocide entrecoupé de bacchanales non moins barbares. « On a forniqué, on a rigolé, on a profité, on a festoyé comme on a tué, avec férocité« , raconte le narrateur.

La sauvagerie qui transpire de chaque planche pourrait passer pour de la complaisance si cette balade infernale ne tendait vers une métaphore du Mal absolu, quasi surréaliste, grâce à un dessin à l’expressionnisme sidérant. S’affranchissant de toute contrainte formelle -à commencer par les cases-, le trait de Micol sécrète un romantisme noir, qui culmine dans des tableaux convoquant à la fois l’étrangeté de Füssli et la puissance symbolique de Goya. Plus on progresse, plus on glisse dans les ténèbres. À travers cet individu peu recommandable, c’est la culture de la violence et de la brutalité des États-Unis, inscrite dans ses racines, que Micol dépeint avec brio. Un album âpre, plus proche, on l’aura compris, des convulsions métaphysiques de La Horde sauvage de Sam Peckinpah que du manichéisme moralisateur de La Chevauchée fantastique de John Ford. L’année commence fort!

DE HUGUES MICOL, ÉDITIONS FUTUROPOLIS, 192 PAGES. ****

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