Critique | Livres

[La BD de la semaine] Highbone Theater, de Joe Daly

© L'Association
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

COMICS | Drogues, SF et théories du complot rythment les aventures messianiques d’Eric Palmer dans le nouvel album délirant de Joe Daly.

Rejeton spirituel de Charles Burns et de Robert Crumb, Joe Daly s’est fait connaître de ce côté-ci de la Méditerranée (le bonhomme est sud-africain) avec une trilogie délicieusement loufoque, Dungeon Quest. Dans ce pastiche sous acide de jeu vidéo du type « beat them all », Millenium Boy et sa bande de nerds s’aventuraient en dehors de la ville en quête de « la légendaire guitare atlantéenne à résonateur« . Sur leur route, ils devaient résoudre des énigmes ésotériques complètement fumeuses et croiser le fer avec des créatures sorties d’un tableau de Füssli. Un vrai festin geek.

Daly n’est pas redescendu de son nuage hallucinogène depuis, son nouvel album poussant toujours aussi loin le bouchon du délire pop. Avec pour références non plus les codes du gaming cette fois-ci mais bien LaBible, le cinéma SF et les théories du complot en tout genre. Rien que ça!

La première scène de cette brique de près de 600 pages taillée à la serpe d’un noir et blanc très comics donne la démesure de ce Highbone Theater. Un homme nu bâti comme une montagne mais affublé d’une tête réduite façon Indiens Jivaros et ornée d’une barbe blanche sort des flots comme au premier matin du monde. Il marche sur les rochers et atterrit sur un parking. Sous un caillou, il trouve comme par magie la clé d’une voiture garée un peu plus loin. Il l’ouvre, prend une serviette, s’essuie rapidement et s’allume une cigarette, toujours à poil, sous le regard quelque peu circonspect des passants. Ce grand gaillard exhibitionniste, c’est Eric Palmer. Et la pièce maîtresse de cette fable apocalyptique.

Épopée mystique

[La BD de la semaine] Highbone Theater, de Joe Daly

On le suit dans ses tribulations. Entouré d’abord de ses potes avec lesquels il n’est pas très bien assorti. Autant cet ouvrier papetier est timide et introverti, malgré l’entrée en matière digne de L’Ancien Testament, autant eux ne se posent pas de questions existentielles, meublant leur désoeuvrement à coups de beuveries, de drague intensive et de chasses viriles aux requins. Sans que ce soit mentionné explicitement -mais rien ne l’est dans ce récit tout en divagations borderline- ces ploucs à gros biscoteaux incarnent le chaos et l’absurdité du monde moderne. La cohabitation va tourner au vinaigre quand il s’installe chez Perry, le plus beauf de la bande, qui ne va pas tarder à faire main basse sur la fille que Palmer avait réussi pour une fois à ne pas effrayer avec ses réflexions étranges et ses goûts bizarres de nerd.

Le prophète incompris se tourne alors vers Billy Boy, un marginal qui se balade avec un tube à flatulences dans le derrière et qui va tenter de le convertir aux théories du complot sur fond d’attentats du 11 septembre 2001. Mais Palmer résiste, comme il résiste au gnome maléfique qui lui fait des misères quand il bascule dans un monde SF parallèle après avoir consommé des substances illicites, bien décidé qu’il est à sauver l’humanité. « L’air est de plus en plus frais… C’est une nouvelle ère glaciaire qui s’annonce« , lâche-t-il à ses copains goguenards sur une terrasse écrasée de soleil.

L’humour scabreux, les blagues débiles et le charabia messianique qui feraient fuir ailleurs, se marient parfaitement à cet univers hautement subversif et surréaliste -assez logique finalement quand on s’appelle Daly-, pourvu qu’on accepte de lâcher les amarres de la raison…

DE JOE DALY, ÉDITIONS L’ASSOCIATION, 576 PAGES.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content