Critique | Livres

Kim de l’Horizon remonte une lignée de violence héritée

4 / 5
© Anne Morgenstern

Kim de l’Horizon, Éditions Julliard

Hêtre pourpre

432 pages

4 / 5
© National
Anne-Lise Remacle Journaliste

Dans ce roman d’apprentissage inventif, Kim de l’Horizon explore sa lignée maternelle et déjoue les traumas linguistiques comme corporels.

Kim de l’Horizon, personnalité suisse germanophone non-binaire, tisse et détisse avec Hêtre pourpre une quête biographique ample, fourmillante et traversée de violences héritées, intégrées ou subies. L’auteur·e souhaite adresser une lettre à sa grand-mère à la mémoire défaillante avant qu’elle ait complètement disparu, en mesurant l’ampleur de toutes les choses flottantes qui planent lors de ses rares visites: “(…) nous ne parlions jamais de honte, jamais de la mort, jamais de ta mort, jamais de ta mémoire de plus en plus défaillante (…) nous ne parlions jamais de tous les chemins que le monde garde en réserve”. Dans une famille où les désirs sont réprimés, où les secrets étouffent l’espace vital à force d’être tus (à commencer par la disparition de la grand-tante Irma), iel cherche à faire la lumière sur l’ampleur toxique de l’indicible (“Je me rends compte que je suis, moi aussi, un corps de honte, toute une archive de honte”). Entre un job administratif lénifiant qui lui permet d’être invisible et des rencontres éphémères et vidées d’émotion via Grindr dont toute trace est ensuite arrachée de sa peau à force d’être lavée, iel dissèque la “langue de mer”, ce mélange d’allemand standard et de bernois (““mère” se dit MEER qui en allemand signifie MER”). Ses propres tensions internes sont déjà en germe dans cette impossibilité à exprimer son identité de genre: “Dans la langue que tu m’as donnée en héritage (…), il n’y a que deux façons d’être un corps, au masculin ou au féminin. Grandir dans la mâchoire de la langue allemande me forçait sans cesse à choisir mon camp à la balle au prisonnier.

Arbres, sorcières et émotions

Au-delà de sa relation polarisante à cette grand-mère dont le corps, comme dans Le Petit Chaperon rouge, est inventorié (comme autant de “débris flottants” de la mémoire) lors de la première partie du roman, Kim de l’Horizon donne à voir son lien aussi contrasté à sa mère. Coiffeuse par nécessité plus que par choix, cette dernière n’a pas fini ses études secondaires parce qu’elle est tombée enceinte puis a voulu assurer à son enfant un avenir (“Je n’ai pas étudié pour mer, j’ai étudié à la place de mer”). Fascinée par les sorcières, cette femme supposément sans éducation a pourtant tenté elle aussi, à travers de longues recherches, de retracer l’histoire de sa famille maternelle dans un arbre généalogique remontant au XIVe siècle. S’y côtoient filles-mères et guérisseuses, cueilleuses de plantes sauvages et prostituées. Autant de figures qui laissent entrevoir dans les interstices de l’Histoire des émancipations en marge. Autant d’herbes jugées mauvaises qui ont pourtant grandi, en dépit de terrains arides ou sanglants. C’est une poussée similaire qu’on souhaite à l’auteur·e de ce premier roman singulier, hanté et qui n’a peur de bousculer ni la langue ni les conceptions.

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