Critique | Livres

Joyce Carol Oates, «la machine à écrire», sort un nouveau recueil de nouvelles vénéneuses

Joyce Carol Oates se plonge ici entre autres dans le milieu universitaire, qu’elle a longtemps fréquenté.
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Dans son recueil de nouvelles Flint Kill Creek, Joyce Carol Oates poursuit sa cartographie du mal.

Flint Kill Creek

De Joyce Carol Oates. Editions Philippe Rey, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Auché, 300 pages.

La cote de Focus: 3,5/5

A 87 ans, Joyce Carol Oates continue d’explorer les ténèbres de la condition humaine. Entre deux romans décapant le vernis des mythes américains –du tueur en série à Marilyn Monroe, pièce maîtresse de son chef-d’œuvre Blonde–, la «machine à écrire» (70 romans sous son nom ou sous pseudo, sans parler de la poésie et du théâtre) se distrait en composant des nouvelles pour les magazines les plus prestigieux.

Les douze réunies ici forment un bouquet vénéneux mêlant suspense, drame, ressentiment, emprise. En quelques pages sèches ou dans un format flirtant avec le miniroman, la reine de l’inconfort laboure ses thèmes de prédilection: le milieu universitaire, qu’elle a longuement fréquenté et qui sert notamment de décor à Amie de mon cœur, une histoire de vengeance ourdie par l’ancienne confidente d’une célébrité du monde académique qui a pris toute la lumière et lui a piqué ses meilleures idées. Mais aussi les classes populaires ou la famille sous toutes ses formes, au centre de cette incursion dans les rêves d’une jeune veuve fuyant dans un sommeil troublé les menaces pressantes des enfants du défunt mari, qui veulent leur part du gâteau (L’Héritière. Le Mercenaire).

Souvent sourde, la violence n’en est pas moins dévastatrice. Une sorte de dénominateur commun, que cette experte en psychologie humaine décortique comme un entomologiste ses insectes. Toute son œuvre semble d’ailleurs tendue vers cet objectif: cartographier le mal. Ce mal dont les premières victimes sont sans surprise les femmes. Illustration avec le récit qui donne son nom au recueil, Flint Kill Creek: on y serpente dans les pensées délirantes d’un étudiant boursier à l’enfance perturbée qui peut sur un coup de tête fuir le campus, «pris d’un dégoût soudain pour ses congénères», et dont le comportement hiératique et sadique scelle le sort dramatique de sa petite amie.

Dans un style obsédant et sinueux, Carol Oates sonde les zones marécageuses tapies sous la normalité, à l’affût de ce moment de folie contre lequel même les personnes les mieux intentionnées ne sont pas immunisées. Ce père par exemple qui, écrasé par sa charge mentale, en oublie son gosse dans la voiture (Jour de semaine, d’une implacable cruauté). Si certaines tranches de vie sont plus convaincantes que d’autres, toutes fascinent, secouent notre indifférence et nous confrontent à notre part de monstruosité.

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