Le Polonais Jakub Szamalek marque le techno-thriller de son empreinte avec La Station, où tout se passe à bord de la Station spatiale internationale. Claustrophobes s’abstenir.
Si Agatha Christie avait pu imaginer qu’on ferait un jour tenir dix personnes dans une boîte en métal de quelques dizaines de mètres cubes, installée à 415 kilomètres au-dessus de nos têtes, sûr qu’elle y aurait tout de suite imaginé un crime intéressant. Mais c’est le Polonais Jakub Szamalek, déjà auteur d’une Trilogie du dark net très remarquée (et entamée avec Tu sais qui en 2022), qui s’en est chargé.
L’idée lui est venue en visitant avec sa fille la Cité de l’espace à Toulouse, et en pénétrant dans la véritable station MIR, ancêtre de l’ISS: «Je ne suis pas claustrophobe, mais j’ai tout de suite senti les murs se resserrer, comme dans La Guerre des étoiles, quand Luke Skywalker et Han Solo tombent dans les poubelles de l’Etoile de la mort! Et ce qui m’a frappé, c’est qu’elle n’était en rien pensée pour le confort de ses occupants. C’est de la pure technologie, sans haut ni bas puisqu’on est dans l’espace, avec des boutons absolument partout. Dans les films, les stations spatiales ont toujours l’air d’avoir été dessinées par des designers italiens, mais non! Bref, je me suis tout de suite dit: c’est un bon début.»
«Dans les films, les stations spatiales ont toujours l’air d’avoir été dessinées par des designers italiens, mais non!.»
Nous voilà donc quelques mois plus tard à Baïkonour, en 2021, en compagnie de la commandante Lucy Poplaski, prête à grimper dans le Soyouz qui la mènera à la Station spatiale internationale, où vont se jouer quasi exclusivement les centaines de pages suivantes. Dans cette station «qui est un tout petit univers, mais très représentatif du grand», deux équipes d’astronautes, l’une russe, l’autre américano-européenne, vont mener l’ultime épisode d’une guerre froide qui se joue désormais dans l’espace et est orchestrée par des milliardaires comme Elon Musk ou Jeff Bezos, «qui ont vraiment changé les règles du jeu, mais ont fait de la conquête de l’espace un simple concours de bites». Qui a provoqué cette fuite d’ammoniac à bord de l’ISS, qui va avoir des conséquences dévastatrices et meurtrières, tant dans ce vaisseau que pour la géopolitique mondiale?
Jakub Szamalek mène son intrigue comme un puzzle, certes en apesanteur, mais très habilement construit, et très prenant malgré l’exiguïté du lieu, qui représente à elle seule un sacré défi pour qui prétend faire une littérature de divertissement et donc un minimum spectaculaire. Un challenge de huis clos auquel Szamalek a ajouté, sans s’y perdre, celui de la technologie. «J’avais signé pour le livre, je ne pouvais plus reculer! Le plus dur ne fut pas la recherche d’informations, mais bien d’introduire ces informations technologiques sans devenir chiant, et surtout en tenir compte pour rester absolument crédible –ce n’est pas de la science-fiction! Or, tout se complique vraiment quand on écrit de la fiction dans l’espace et cette station spatiale. Non seulement rien ne s’y passe « normalement » –une simple coupure devient une bulle de sang!– mais tout est régi par d’innombrables protocoles, que les astronautes mettent deux ans à apprendre, et qui prévoient toutes les situations possibles! Mettre de l’imprévu là-dedans, c’était ça, le vrai challenge. J’aime l’ingénierie, j’avais construit un plan précis… en sachant qu’il allait s’écrouler, et que je devrais tout reconstruire en tenant compte de toutes les contraintes du lieu.»
Challenge réussi pour cet auteur polonais atypique, sorte de Michael Crichton ou de Tom Clancy new age, plus drôle, plus cynique, mais pas moins érudit, formé à l’archéologie à Oxford et Cambridge et passionné de nouvelles technologies «parce qu’elles permettent d’écrire quelque chose de vraiment neuf, pas vu avant, en plus de mieux comprendre le monde qui nous entoure». «Quand j’ai dit que j’écrivais un livre dans la station spatiale, tout le monde m’a dit: « Ah, tu fais de la SF. » Mais ce n’est pas de la SF! Ça arrive ici et maintenant. Ça fait 70 ans qu’on va dans l’espace! Peut-être qu’on manque encore de livres là-dessus.»
La Station, de Jakub Szamalek, Métailié, traduit du polonais par Kamil Barbarski, 376 pages.
La cote de Focus: 4/5
Best of huis clos
Livres: Le Crime de l’Orient-Express (1934)
On pourrait en citer 100, mais Jakub Szamalek lui-même s’y réfère à de nombreuses reprises, dont acte: dans le genre huis clos (et whodunit), a-t-on jamais fait mieux depuis Agatha Christie, son crime et ses douze suspects tenant dans un wagon? On a en tout cas tenté depuis de faire plus petit encore. Dernier exemple frappant en date, Le Puits, d’Iván Repila, conte cruel qui voit l’intrigue se dérouler presque exclusivement, au fond d’un puits, dans lequel deux frères ont été jetés. Suffocant.
Le Puits, d’Iván Repila, éditions Denoël, 112 p.
Cinéma: Reservoir Dogs (1992)
Mister White, Mister Pink et Mister Orange sont enfermés dans un hangar… Le premier film de Quentin Tarantino a tout dynamité sur son passage, y compris la grammaire même du genre du huis clos, qu’il magnifiait sous des litres de sang. Szamalek, lui, connaît évidemment tous ses classiques en terme de huis clos spatial, genre dans lequel on pourrait presque mettre tous les films de SF, d’Alien à Gravity. «Gravity reste, avec Agatha Christie, mon autre référence directe pour La Station, notamment dans ce principe qu’il n’y a évidemment ni son ni explosion dans l’espace.»
Bande dessinée: S’enfuir (2016)
De manière assez logique, vu la difficulté de l’exercice dans un médium qui a besoin de centaines de cases pour s’exprimer et suffoque vite sous la répétition, le huis clos est un genre peu exploré en bande dessinée. Le Québécois Guy Delisle, qui aime les défis, s’y est plus qu’essayé avec S’enfuir (Dargaud), qui racontait, presque heure par heure, les 111 jours de captivité vécus par son compatriote Christophe André, en 1997, dans le Caucase. Le récit d’un otage enfermé seul dans une pièce minuscule, que Delisle étire sur plus de 400 pages passionnantes tant sur le fond que sur la forme.
