Hélène Zimmer, invitée de l’Intime Festival, ouvre le bal de la rentrée littéraire avec Les Dernières Ecritures

Hélène Zimmer décrypte la finitude dans son nouveau roman Les Dernières Ecritures. © DR

Parmi les invités de l’Intime Festival, l’autrice et réalisatrice française Hélène Zimmer ouvre le bal de la rentrée littéraire avec Les Dernières Ecritures.

Sorti en 2017, Fairy Tale, l’impressionnant premier roman d’Hélène Zimmer, dressait le portrait singulier de Coralie, une jeune mère plongée dans l’enfer de la vie ménagère qui voudrait croire au conte de fées proposé par une émission de télé qui promet de trouver un boulot à son mari, chômeur de longue durée. Après s’être essayée au roman historique (Vairon), puis intéressée au capitalisme vert et à la résistance écologique avec Dans la réserve, l’autrice revient avec Les Dernières Ecritures, qui s’interroge, entre autres, sur la transmission du savoir, même quand il est terrible, et la fin, du monde et de la littérature.

«Au cœur du livre, il y a la question de la finitude, confirme la romancière. Comment, en tant qu’individu, accepte-t-on que les choses se terminent, tout en continuant à vivre?» Et les fins sont multiples dans Les Dernières Ecritures. Il y a la fin du monde tel que le connaît l’humanité, un monde exsangue, dévasté, où le vivant décroît, et dont une poignée de scientifiques s’est donné pour but de faire l’inventaire dans un livre-somme, Le Bilan. Il y a la fin évitée in extremis d’une adolescente qui a tenté de mettre fin à ses jours, en écho à d’autres disparitions –celles du phoque moine, du rhinocéros blanc, du manchot empereur […] de Léa Bergeron-Filippi. Puis la fin du couple de Cassandre, professeure de secondaire, qui pour retrouver du sens décide de partager avec ses élèves l’urgence de la situation, en leur enseignant Le Bilan –et finit attaquée en justice par les parents de Léa.

Lequel restera-t-il?

«Commencer le livre par cette rupture me permettait de dresser une analogie entre la fin du couple et de son idéal et la fin d’un monde idéal dans lequel on rêvait de vivre mais qui ne correspond plus à notre présent, et encore moins à notre futur, décode Hélène Zimmer. Et puis, il y a ce Bilan du dérèglement climatique. Un titre comme une clôture des comptes, administrative, mathématique, qu’on doit intégrer, digérer, sans pour autant que cela ne nous empêche de vivre.» Ce livre-somme est un livre monstre, meurtrier presque, qui suscite le désespoir de ses auteurs comme de ses lecteurs. C’est aussi un livre qui en épuisant le vivant, puisqu’il le circonscrit dans son intégralité, figure le possible épuisement de la littérature.

«Je me suis vraiment interrogée sur le dernier livre que l’humanité pourrait conserver, assure l’autrice. Préfèrerait-elle un livre qui l’aide à surmonter la crise écologique, plutôt pragmatique, ou serait-ce une forme de littérature plus poétique qui aiderait à supporter l’insupportable? Dans le roman, l’une des protagonistes évoque une thèse selon laquelle les premières écritures qui ont existé sur Terre étaient celles qui recensent les ressources, donc les dernières le seront aussi. Une façon d’aller au bout de l’intention originelle de l’écriture. En ce sens, peut-être Le Bilan « tue »-t-il l’acte d’écrire? On ne peut pas aller plus loin que ça.»

«Les connaissances à transmettre sont déprimantes. Comment en faire quelque chose de positif?»

Promesse de résurrection

Pourtant, à travers son livre, Hélène Zimmer réaffirme le pouvoir de la littérature. D’abord, parce qu’il en adopte plusieurs formes, celles du journal, du livre de procès, de la biographie. Ensuite, parce qu’il prend une forme polyphonique, suivant tour à tour le point de vue de plusieurs personnages. «C’est un procédé qui permet de proposer un livre qui ne soit pas théorique, et qui présente les parcours incarnés d’une réflexion. Les quatre protagonistes principaux sont autant de traversées du sujet. Ils permettent de mettre en place un débat sur la crise environnementale et la transmission du savoir à ce sujet, et d’aller au-delà de l’idéologie.»

Il y a aussi un cinquième personnage, crucial, celui de Léa, qui face à l’incurie des adultes, pose un acte. «Léa choisit de ne pas prendre les armes, le seul constat raisonnable qu’elle dresse, c’est que pour que le monde survive, l’humanité doit disparaître. Elle est en prise directe avec la catastrophe, et sa lucidité est de tirer sa révérence, chose qu’aucun adulte responsable dans le livre n’arrive à faire. Où se place la résistance et la résilience des adultes? Comment et pourquoi eux tiennent encore le coup? Dans quel but et avec quelles conséquences?»

Au-delà de la fin (ou en l’attendant), l’une des thématiques principales du livre est celle de la transmission, même lorsque le savoir est inconfortable. «Cela me questionne comme citoyenne et comme parent, avoue Hélène Zimmer. Transmet-on à nos enfants des traditions qui leur permettront de se positionner dans le monde tel qu’on le connaît aujourd’hui, ou leur transmet-on des connaissances pour affronter le futur tel qu’on peut d’ores et déjà l’envisager? La question qui devrait se poser est celle de la médiation. Les connaissances à transmettre sont déprimantes. A partir de là, comment digérer ces données pour en faire quelque chose de positif? Cassandre réagit de manière pulsionnelle, irréfléchie. Mais on peut imaginer un cours qui soit le résultat d’une réflexion moins instinctive, basé sur des travaux d’économistes, de penseurs de l’environnement qui proposent d’autres modèles.» La médiation est justement l’un des rôles de la littérature, et le livre prend bien soin d’ouvrir des possibles. «Je fais des choix narratifs qui dépassent la fin annoncée, note l’écrivaine. Je voulais illustrer la contradiction constante, quotidienne, que nous oppose la vie. Le rire revient parce qu’il y a une part de joie, de ridicule, une volonté d’attachement, d’amour, il y a des promesses de résurrection. Je ne voulais pas accabler les personnages plus que le monde ne les accable déjà.»

Les Dernières Ecritures, par Hélène Zimmer, P.O.L, 208 p. 3,5/5


L’Intime Festival ouvrira Saisir partout, une exposition des photographies de Vivian Maier, au Delta jusqu’au 30 novembre.
@Estate of Vivian Maier, courtesy of Maloof Collection and Howa

L’Intime Festival, chapitre 13

Du 29 au 31 août, à Namur.

Précédé de deux représentations exceptionnelles de Brel d’Anne Teresa de Keersmaeker les 27 et 28 août (lire page 104), la 13e édition de l’Intime Festival se tiendra du 29 au 31 août prochain dans la capitale wallonne. L’occasion de célébrer la fin de l’été, et l’arrivée toute proche de la rentrée littéraire en assistant à cet événement où les mots sont placés en tête d’affiche. Comme à son habitude, il mêlera les disciplines, littérature bien sûr, mais aussi danse, théâtre, jeu, cinéma, illustration et photographie. L’Intime Festival, ce sont notamment des lectures (Hisham Matar par Charles Berling, Jan Carson par Catherine Salée, mais aussi une lecture performée par son autrice Adèle Yon du livre phénomène Mon vrai nom est Elisabeth), et des entretiens littéraires de haute volée: au programme cette année, une conversation entre Anne Teresa de Keersmaeker et Laure Adler, ou des rencontres avec Maylis de Kerangal, Bénédicte Pichat ou Hélène Zimmer.

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