Critique | Livres

Évangile des égarés

Fabrice Delmeire Journaliste

Flora a perdu son chemin. Elle s’est perdue dans ce plus-que-noir qui habite la dépression. Là-bas, tout en bas, où l’on est absolument seul, face au rire de son thérapeute, l’incompréhension des proches, ce devenir fantôme, Flora va chercher, gratter, tanguer. Son seul compagnon désormais, c’est l’écrivain Fritz Zorn, dont Mars, livre-monstre, redoutable de clarté dans notre monde si illisible, lui tient lieu de viatique. « Ce que Fritz me rappelle, c’est qu’il n’est jamais trop tard. Car par la révolte, il s’incarne enfin, lui qui a toujours eu la sensation d’être un spectre. » Flora rejoint alors la fraternité des patients d’une clinique psychiatrique. Ici le royaume des égarés: ceux que la vie a alourdis, que le monde a affolés, les ruminants, les broyeurs d’idées noires, les brebis perdues. Ici, le banal disparaît, on réapprend à dire « bonjour » et « comment ça va pas? » « Les fous, c’est pas ici. Ils sont dehors les inhumains, les métalliques. » Enfin, la renaissance à vivre avec son fils, Vladimir, un adolescent qui rejette la société hyper-connectée. Dès la première page, par des mots « extirpés du fond de la gorge à la tenaille, un silence majestueux, implacable, épais comme cent tonnes de moire », Georgina Tacou saisit le lecteur avec une évidence rare. Dans une construction en trois parties où les rencontres et la solidarité retrouvée font poindre un faisceau de lumière, où les voix pleines de brisures s’entremêlent sous les feuilles de marronniers, on se refait une nouvelle peau. Avec ce livre fort sur l’aveu de la dépression, on s’est trouvé… « Une grande complicité, voilà je cherchais le mot. »

De Georgina Tacou, éditions Gallimard/L’Arpenteur, 198 pages.

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