Eleanor Catton interroge notre avenir dans un thriller alliant politique et écologie

Eleanor Catton: “L’expérience romanesque est de bien des façons tout à fait l’antithèse de celle des réseaux sociaux: elle s’inscrit, se fabrique dans le temps et permet d’explorer les nuances là où la vie online est une sorte d’espace privé de contexte.” © Murdo MacLeod
Anne-Lise Remacle Journaliste

Eleanor Catton signe un thriller éco-politique palpitant où chaque personnage est confronté aux angles morts de ses ambitions, personnelles ou collectives.

Cela faisait dix ans -depuis Les Luminaires et l’obtention du Booker Prize à l’âge le plus précoce- qu’Eleanor Catton (découverte avec le troublant La Répétition) n’avait plus publié de roman. Mais entre le défi évident de l’adaptation en minisérie de son roman victorien de presque mille pages puis celle du Emma. de Jane Austen pour le film d’Autumn de Wilde (avec Anya Taylor-Joy) -deux expériences qui lui ont appris à quel point un personnage se révèle au moment de faire des choix-, l’autrice néo-zélandaise n’a pas manqué de grain à moudre. Sélectionnée par le magazine littéraire anglophone Granta dans son Best of Young British Novelists (meilleurs auteurs de moins de 40 ans), elle nous revient avec Birnam Wood, un troisième roman au terreau multicouche. C’est un thriller assumé qui emprunte autant à Shakespeare qu’à l’éco-anxiété, autant à l’activisme contemporain (et certains de ses biais) qu’à la société de surveillance ou à la démesure hors sol des ultra-capitalistes. Le groupe de guérilla jardinière Birnam Wood (dont le nom fait référence à la forêt qui aura raison de la puissance de Macbeth), avec à sa tête la radicale et parfois obtuse Mira, se rend compte que le terrain de la ville de Thorndike qu’ils projettent d’investir est déjà convoité par le multimilliardaire Robert Lemoine. Cet homme qui a fait fortune dans les drones semble prêt à financer leur rébellion, mais Tony (investigateur auto-proclamé en quête de rédemption), est persuadé qu’il dissimule un agenda secret… Rencontre avec une autrice qui s’interroge sur notre futur.

Est-ce que vous remettre à écrire après avoir reçu le Booker Prize était intimidant? Quelle a été l’étincelle qui a mis Birnam Wood sur rails?

Eleanor Catton: Il m’a en effet fallu un certain temps avant de trouver une nouvelle idée. Aux alentours de 2015-2016, j’ai commencé à constater une peur latente et collective par rapport au futur, même très proche. Tout à coup, il me semblait que nous avions tous abandonné l’idée que l’avenir pourrait être une amélioration par rapport au temps présent ou même un nouveau salut. La cause de ces inquiétudes palpables était évidemment politique mais aussi environnementale. J’ai eu envie d’écrire autour de cette sensation. J’avais remarqué une polarisation croissante du discours politique. Il y avait de moins en moins de tolérance envers les positions opposées -je sentais cette tendance non seulement chez mes amis mais aussi en moi, et je n’aimais pas ça (rires).

N’est-ce pas un constat particulièrement vrai sur les réseaux sociaux?

Eleanor Catton: Tout à fait! Je me suis intéressée à leur influence dans notre conception de la moralité. Tout cet environnement crée une nouvelle raison d’être pour le genre du roman, d’une certaine façon. L’expérience romanesque est de bien des façons tout à fait l’antithèse de celle des réseaux sociaux: elle s’inscrit, se fabrique dans le temps et permet d’explorer les nuances là où la vie online est une sorte d’espace privé de contexte. C’est à peu près au même moment que j’ai relu Macbeth et ça a cimenté mes intuitions: et si j’écrivais un texte qui ressemblerait à une adaptation contemporaine de la pièce, mais serait en réalité plus glissant que ça? Et si tous les personnages du livre pouvaient être à leur façon Macbeth et s’inscrivaient dans leur propre spectre de zones grises? S’ils avaient des angles morts qui pourraient leur être fatals? Je savais dès le départ que ça serait un thriller parce que je voulais que le lecteur se soucie de ce qui arrive après -c’est totalement lié à mon intérêt pour le futur.

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Qu’est-ce qui vous paraît contemporain dans cette œuvre de Shakespeare?

Eleanor Catton: Ce qui me plaît particulièrement c’est que c’est à la fois un texte vraiment païen, avec ses figures de sorcières, son chaudron, ses sorts mais que du point de vue de l’intrigue, il ne met pas en œuvre de deus ex machina. Tout ce qui est prédit advient grâce au pouvoir de la suggestion et avec une connaissance précise de comment fonctionne la nature humaine. La pièce montre les dérives de l’hubris. Pour moi, cet orgueil démesuré pourrait être la quintessence de notre condition moderne.

Est-ce que le personnage de Robert Lemoine trouve pour partie son inspiration chez une figure ambivalente comme Elon Musk?

Eleanor Catton: En réalité, pas vraiment. Je me suis en revanche intéressée à Peter Thiel (entrepreneur libertarien, entre autres cofondateur de ce qui deviendra PayPal, soutien de Trump, naturalisé néo-zélandais, NDLR), mais assez tard dans le processus d’écriture. J’éprouvais quelques doutes au sujet de Lemoine et je me demandais si je ne l’avais pas rendu trop cartoonesque comme méchant. En lisant la biographie de Thiel, je me suis sentie tout à fait rassurée (rires)! Dans le roman, Lemoine se fait fréquemment des transfusions de sang jeune (une envie aussi présente chez Thiel), mais ce n’est qu’un comportement prédateur -voire vampirique- parmi bien d’autres. Cette peur de vieillir me semble à nouveau liée à la vie en ligne: là, rien ne se dégrade, tout est ancré dans l’immédiateté. Ça a quelque chose de frénétique mais c’est aussi curieusement statique. ça crée des attentes qui viennent supplanter celles de la réalité. On en vient à souhaiter l’éternité parce que notre persona, elle, existe pour toujours -ou presque.

Mettre en scène une guérilla jardinière, était-ce pour vous aussi une façon d’explorer une révolution qui prend du temps et du soin?

Eleanor Catton: L’envie de travailler sur des éco-activistes confrontés à un ultra-riche est arrivée tôt dans le processus, de même que le fait de l’appeler Birnam Wood -en ça, je suis singulière: j’ai besoin de trouver un titre très tôt! Nous sommes persuadés si souvent ces temps-ci qu’absolument tout se mesure en profits et pertes. On est encouragés à se ranger du côté des gagnants, pas celui des perdants. Mais une partie du monde naturel ne fonctionne pas sur ces principes, il existe des exemples de cohabitation harmonieuse ou de systèmes interconnectés: une plante pourra fournir les nutriments nécessaires au sol pour une autre. C’était pour moi un contrepoint plaisant, une part de paysage face à nos univers agressivement compétitifs et capitalistes.

Birnam Wood ****(*), d’Eleanor Catton, éditions Buchet-Chastel, traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Marguerite Capelle, 560 pages.

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