Critique | Livres

Edouard Louis vole au secours de sa mère dans Monique s’évade

3,5 / 5
Edouard Louis © Robert Jean-Francois / modds

Édouard Louis, éditions du Seuil

Monique s’évade

180 pages

3,5 / 5
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Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Edouard Louis poursuit dans Monique s’évade son travail autobiographique en racontant le sauvetage de sa mère des griffes d’un homme violent. Bis repetita.

Alors qu’il s’apprêtait à écrire sur l’aîné de ses frères, « mort de l’alcool à trente-huit ans« , Edouard Louis a reçu un coup de fil qui allait changer ses plans. C’était sa mère, en larmes. « Elle me racontait au téléphone que l’homme qu’elle avait rencontré après sa séparation avec mon père (…) lui faisait revivre la même chose« , écrit-il dès la première page de Monique s’évade. L’engrenage infernal de l’alcool et de la violence. Il buvait, « et une fois qu’il avait bu, il l’humiliait, il se mettait à l’insulter« .


On pourrait parler de malédiction si on n’avait pas en tête les livres précédents du jeune trentenaire converti à Bourdieu, qui tous ont mis en évidence avec une clairvoyance éclatante les mécanismes de reproduction des inégalités sociales. En particulier pour les éléments les plus fragiles des populations défavorisées: les femmes.


Le cri de détresse maternel est d’autant plus cruel que Monique avait réussi à s’arracher au déterminisme de son milieu. Un parcours d’émancipation au forceps que l’écrivain détaillait dans Combats et métamorphoses d’une femme en 2021, sept ans après avoir relaté son propre transfert de classe dans En finir avec Eddy Bellegueule.

Sauvetage en mère

Pas question cette fois de laisser la situation s’envenimer. « Ne t’en fais pas, on va trouver une solution« , la rassure-t-il. Pas simple quand on se trouve en Grèce pour une résidence. C’est donc à distance qu’il va organiser les choses, mobilisant ses amis puis sa sœur pour la sortir du guêpier. Elle trouvera d’abord refuge dans son appartement vide. Une aubaine qui met en évidence ce qu’il appelle le « prix de la liberté« . Son constat est amer: sans moyens financiers, sans relations, impossible d’échapper à sa condition.


Hybride, le texte navigue entre l’émotion affleurant au détour de dialogues mère-fils désarmants et l’analyse froide des rouages du système. Cette sous-couche critique est à la fois la force et la faiblesse d’Édouard Louis: sous sa plume, les êtres ressemblent parfois à des marionnettes dénuées de volonté propre. Au point d’envisager d’absoudre le bourreau au prétexte qu’il est innocent, « pas au sens où il m’inspirerait de la sympathie« , mais parce « qu’il reproduit le monde qui l’entoure« . Ce qui n’enlève rien à la puissance d‘un témoignage qui décrit autant le courage d’une femme sous emprise qu’il met à nu les motivations -entre altruisme, mauvaise conscience et dette affective- du protecteur.


Et la littérature dans tout ça? Elle pourrait sembler s’effacer ici derrière les faits et le réalisme. Mais plus que jamais, son écriture sans artifices n’est neutre qu’en façade. La magie se glisse dans un agencement savant des affects et des idées. Ce ciment verbal fait tenir ensemble les pièces de la tragédie domestique. Et puis, quoi de plus romanesque que cette fin qui voit la mère assister à Hambourg à la représentation sur scène de son premier exil. « Elle a gagné« , jubile le fiston. En espérant que cette seconde évasion soit la bonne… ●

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