Dark Vador, Annie Wilkes, Hannibal Lecter et le Joker sur le divan: mais pourquoi sont-ils aussi méchants ?

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Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

De Dark Vador à Annie Wilkes en passant par Hannibal Lecter ou le T-1000 de Terminator, le psychologue clinicien Jérémie Gallen, animateur de la chaîne YouTube Va te faire suivre et par ailleurs grand fan de cinéma, s’est amusé à inviter les plus célèbres vilains à ses consultations. Car, de mieux en mieux écrits, de moins en moins binaires, les méchants sont, dit-il, “bien plus intéressants que les héros”. “Là, le vilain devient un individu à qui on peut s’identifier, que l’on pourrait presque comprendre et, surtout, qui nous rappelle nos propres pulsions avant que nous ne les réfrénions”, écrit-il dans son dernier livre La Psychologie des méchants.

Vous analysez en profondeur des personnages de fiction. Est-ce parce que les scénaristes ou les réalisateurs se sont inspirés de la psychologie et des maladies mentales que ça tient la route?

Non, justement, je pense que les personnages les plus intéressants sont ceux pour lesquels on n’a pas chercher à correspondre à un cadre psychopathologique ou psychiatrique particulier. Par exemple, Split (de M. Night Shyamalan, 2003, NDLR) présente un personnage qui aurait soi-disant un trouble de la personnalité. Mais dans ces cas-là, les scénaristes ont du mal à sortir du cliché et à ne pas faire d’erreurs. Dans le livre, je parle du Joker du film de Christopher Nolan (The Dark Knight, 2008) et de celui de Todd Phillips (2019), qui est censé être un préquel, la naissance du Joker. Mais du point de vue psychopathologique, ça ne peut pas être les mêmes personnages, pour des raisons structurelles (selon lui, le premier est un psychopathe et le second souffre de psychose maniaco-dépressive, NDLR). Ceci ne peut pas donner cela. À partir du moment où certaines blessures ou fonctionnements s’instaurent dans la vie infantile, ou chez l’adolescent ou le jeune adulte, c’est comme si on était sur des rails: ça peut aller un peu à droite ou à gauche, mais ça ne peut pas complètement bifurquer, ce n’est pas possible.

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Dans votre liste de méchants, il y a plus de personnages hommes ou assimilables au masculin que de femmes. Est-ce que ça correspond à une réalité? L’homme est plus “méchant” que la femme?

Sur le plan sociologique, je ne sais pas, mais sur le plan pulsionnel, nous sommes tous égaux. Hommes et femmes, nous avons tous des pulsions agressives, des pulsions sexuelles. Peut-être que la possibilité d’accéder à du pouvoir, qui a été davantage donnée aux hommes, leur a permis de donner davantage libre cours à leurs pulsions, de penser qu’ils étaient au-dessus des interdits. Parce que pour être méchant, il faut avoir cette capacité de faire fi de l’interdit -je préfère parler d’interdit plutôt que de loi, parce que les lois sont sociales, écrites, rédigées, alors que l’interdit est quelque chose qu’on va se construire soi-même, par rapport à l’éducation qu’on a eue, à la société dans laquelle on vit. Par contre, aujourd’hui, étant donné que les femmes arrivent aussi à plus de postes de pouvoir, elles risquent elles aussi d’exercer leur sadisme, leurs perversions… On le voit déjà au cinéma, et surtout dans les séries. Le meilleur exemple reste Game of Thrones, qui montrent des femmes qui peuvent être absolument horribles. Walking Dead aussi, la série et la bande dessinée: on voit que dès que les femmes peuvent laisser s’exprimer un peu plus leur méchanceté et leurs pulsions agressives, elles ne s’en privent pas.

Le dernier exemple du livre est d’ailleurs une femme: la Reine-Sorcière de Blanche-Neige. Pourquoi ce personnage terrifie-t-il à ce point les enfants?

Il y a quelque chose qui est assez exceptionnel dans ce film, même si chez Disney ce n’est pas si exceptionnel: c’est une figure familiale qui est méchante à ce point. En l’occurrence, la belle-mère. Le mal se situe à l’intérieur même de ce qui est censé être le cocon familial. C’est un premier point. Deuxième point important qui est terrifiant pour un enfant, c’est la scène de la transformation. On sent bien la méchanceté du personnage, mais elle se personnifie encore plus au moment de cette transformation qui concerne le visage, mais aussi les mains et la voix.

Vous vous penchez sur des personnages humains, mais aussi un animal, un robot, un extraterrestre. Ces méchants non-humains sont-ils une façon de se dire que le mal vient aussi de l’extérieur?

Je dirais plutôt que ces représentations du mal ont un côté très pertinent pour un scénariste, ou un artiste en général: elles représentent un conglomérat d’angoisses. Si je prends le cas du requin dans Les Dents de la mer, un personnage humain ne pourrait pas nous “plonger” dans l’angoisse de la perte de repères, nous renvoyer cette crainte d’être perdu dans un élément qui n’est pas le nôtre, et de ne pas savoir d’où va venir le danger. Dans l’eau, si on ne voit pas le fond, s’il n’y a pas de rochers ou de sable pour nous faire limite, on peut imaginer n’importe quoi. C’est exactement comme un enfant lorsqu’il se couche le soir: si on éteint la lumière, son imagination n’est plus limitée. L’océan c’est la même chose. L’espace, c’est la même chose. Un autre très bon exemple, c’est le zombie. Le zombie, c’est la question de la mort, du virus et des maladies, et le cannibalisme. Trois choses dans un seul et même individu. Hannibal Lecter peut nous faire peur, mais il ne nous transmet pas de maladie et quand il meurt, c’est terminé.

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Se faire peur avec des méchants dans un thriller ou un film d’horreur, c’est une façon de “s’entraîner”, expliquez-vous…

Ce n’est pas validé par la science en tant que tel, mais ce sont des hypothèses qui commencent à faire consensus. Ça fonctionnerait un peu à la manière du cauchemar: nous nous mettons dans une situation où nous ne risquons rien -où en tout cas notre intégrité physique n’est pas mise à mal. Et dans cette situation, on peut se dire: comment moi je ferais? Comment je réagirais face à un tel danger? Des études ont en tout cas montré que des personnes qui avaient l’habitude de regarder des films de zombies ou de jouer à des jeux vidéo de zombie avaient eu moins de troubles anxieux pendant le confinement. Parce qu’ils s’étaient en quelque sorte préparés à ce que pourrait être cette éventualité.

Pour chaque cas examiné, vous prévoyez une thérapie ou faites des recommandations. Vous pensez que tous les “méchants” peuvent devenir “gentils”?

Si c’est une volonté sincère et personnelle, oui, je n’ai aucun doute là -dessus. Si quelqu’un a profondément envie de changer, il y arrivera.

Jérémie Gallen

1982 Naissance

2015 Lancement de sa chaîne YouTube Va te faire suivre, où il vulgarise à travers la pop culture des concepts de psychopathologie, de psychologie clinique et de psychanalyse

2022 Sur le divan de mes patients – Débusquer notre savoir inconscient pour activer notre pouvoir de guérison (éditions Favre)

2024 La Psychologie des méchants (éditions Opportun)

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