Critique | Livres

Dans son nouveau roman, Miriam Toews nous enjoint à résister par la joie

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© Mark Boucher

Miriam Toews, Éditions Buchet-Chastel

Ce que combattre veut dire

288 pages

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© National
Anne-Lise Remacle Journaliste

La Canadienne Miriam Toews explore avec tendresse les relations d’une lignée matriarcale marquée par les traumas et les secrets.

À Toronto, Swiv, gamine de 9 ans avec sous les yeux “des swooshs bleus comme ceux de Nike, est renvoyée de l’école après s’être battue une fois de trop. Avec sa grand-mère Elvira (très à l’aise avec son corps et pétulante malgré sa santé déclinante) et sa mère Mooshie (aspirante comédienne et au troisième trimestre d’une grossesse éreintante vu son âge), elles forment, sous la plume de Miriam Toews, un trio aussi imprévisible qu’une cocotte-minute. Régulièrement, elles font ensemble une “réunion éditoriale”, où elles s’assignent mutuellement des tâches, dont des lettres à écrire aux absents. Parmi eux, il y a Gord (l’enfant à venir, surnommé le Rabat-joie, parce qu’il empêche sa mère de boire et fumer) et le père de Swiv, supposément en train de combattre les fascistes mais autour duquel plane un mystère. Par-delà leurs disputes fréquentes (dont celles à propos du langage haut en couleur d’Elvira -mais comme le dit Swiv, avec un sens assimilé de la tragédie: “Peu importe les mots qu’on utilise dans la vie, on va souffrir quand même”), ces trois générations se serrent les coudes au quotidien contre l’absurdité générale de la vie.

S’émanciper

Elles peuvent compter sur un héritage précieux: la pugnacité joyeuse et jusqu’au-boutiste de leur aînée. Cette dernière a passé 62 ans dans une bourgade rurale peuplée d’évadés de la Russie, entourée dans son enfance par quatorze frères et sœurs. Elvira a dû lutter contre l’obscurantisme de Willit Braun (chef despotique de sa communauté) puis rester debout face aux morts brutales de son mari et de sa fille Momo, la sœur de Mooshie -on retrouve ici, dépliés différemment, certains motifs autobiographiques de Pauvres petits chagrins. Lors d’un voyage épique d’Elvira et Swiv vers Fresno (siège des Raptors, leur équipe de basket chérie), la grand-mère lève le voile sur cette période douloureuse de leur histoire commune, où après le suicide de Momo, toute la famille s’est retrouvée déboussolée, à commencer par la gamine qui a dû porter seule son trauma. Comme dans le bouleversant Ce qu’elles disent, on découvre combien les oppressions subies par les femmes de la communauté d’Elvira ont été systémiques: “Ils ont pris notre force vitale. Alors on se bat toutes pour la récupérer. (…) on se bat pour accéder à nos sentiments”.

Outre cette volonté criante d’émancipation, il y a, chez Miriam Toews, un rire frontal du désespoir qui fait fil rouge salvateur face à toute adversité. Ses représentations de la famille ne sont jamais édulcorées ou idéalisées. Ce sont d’ailleurs précisément ces aspérités -corps en vrac, situations rocambolesques, inquiétude latente- qui consolident notre tendresse pour ses personnages inoubliables.

Miriam Toews est l’invitée de Passa Porta ce 1er décembre à Bruxelles.

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