Dans les Appalaches avec David Joy
Dans le douloureux Nos vies en flammes, David Joy met en parallèle l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche et les incendies de forêts en Caroline du Nord avec la crise des opioïdes qui ravage les siens.
Découvert en 2016 avec Là où les lumières se perdent -une adaptation au cinéma est en production, réalisée par Ben Young, avec Billy Bob Thornton et Robin Wright-, David Joy s’est imposé en quatre romans comme le chaînon manquant entre Larry Brown et Ron Rash. Il n’est pas non plus défendu de mentionner les incontournables William Faulkner, Cormac McCarthy ou Donald Ray Pollock au rayon des influences conscientes ou inconscientes pour situer l’auteur de 38 ans et des poussières, tant ses ouvrages sont sombres et déchirants. Nos vies en flammes, son quatrième manuscrit qui succède à Ce lien entre nous (2020) et Le Poids du monde (2018), se déroule toujours en Caroline du Nord, au coeur des Appalaches, l’immense chaîne de montagnes de l’est de l’Amérique du Nord où est né David et où il réside toujours avec sa compagne Ashley, dans le comté de Jackson, au coeur des Blue Ridges Mountains, dans une maison sans Internet. Pour la petite histoire, David est descendu en ville pour notre entretien afin d’avoir une excellente connexion et s’est garé sur le parking de la Western Carolina University, où il a étudié la littérature sous la houlette de Ron Rash, son mentor, à qui Nos vies en flammes est dédié. « C’est ici que Ron m’a offert un exemplaire de I Hate to See That Evening Sun Go Down, une nouvelle de William Gay. C’est la première fois que je lisais quelque chose qui me parlait vraiment, que ce soit à travers les lieux, les personnages, leurs conflits intérieurs, leurs pensées… Je me souviens m’être fait la réflexion que je pouvais peut-être écrire quelque chose qui pourrait potentiellement intéresser les gens. »
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Génération opioïdes
Nos vies en flammes est sans conteste le plus politique, le plus engagé et aussi le plus prenant et le plus bouleversant de ses quatre romans. 2016, année de l’action du livre, voit Trump devenir le 45e président des États-Unis. Entre le 23 octobre et le 18 novembre de la même année, ce sont 5 600 hectares de forêt qui s’envolent en fumée, conséquence d’incendies incroyablement dévastateurs. Sans oublier l’épidémie de morts par overdose d’opioïdes qui détruit cette fois-ci majoritairement l’Amérique blanche, comme l’avait fait 30 ans plus tôt le crack dans les communautés afro-américaines et hispaniques. Sonatine, éditeur historique de Joy, a d’ailleurs eu l’excellente idée de publier l’intégralité de Génération opioïdes, l’article que David a écrit au printemps 2020 pour la revue America.
Rien qu’entre 2015 et 2020, 289 312 morts par overdose d’opioïdes ont été recensées dans le pays. Les Appalaches s’octroyant tristement le haut du podium. Hasard des calendriers, une édition récente du New York Times annonçait que les Amérindiens allaient recevoir 665 millions de dollars -vous avez bien lu, 665 millions de dollars- de la part de quatre grands groupes pharmaceutiques après plusieurs accords mettant fin à leurs poursuites. Ce n’est pas un hasard si David Joy évoque le sort des descendants des Cherokees dans Nos vies en flammes. « Les Amérindiens paient un lourd tribut. En parler est aussi une manière de rappeler que la tragédie touche tout le monde, c’est une manière de ne pas les oublier », confesse l’auteur en live derrière le volant de son pick-up.
Au lecteur d’être en empathie avec Ray Mathis, protagoniste qui se débat pour sortir son gamin de l’enfer de la came et lui éviter de se retrouver comme dans un mauvais épisode de Ozark ou de Breaking Bad. David Joy sait de quoi il parle, il écrit sur ce qu’il connaît et maîtrise les codes du noir (scènes ultraviolentes, flics, dealers impitoyables, poursuites, cris, larmes, pleurs, douleurs en tout genre…) comme personne, avec un souffle narratif, une puissance, un lyrisme, une beauté formelle qui émeuvent tout en laissant un goût de cendres dans la bouche. « L’idée du livre vient surtout de la crise des opioïdes qui affecte mon quotidien. Sur le parking de la poste ou de la pompe à essence du village, tu marches sur des seringues en descendant de ta voiture. à l’inverse de ce que j’ai pu faire par le passé, je voulais épouser le point de vue d’un parent démuni face à l’addiction de son fils. Pour dire combien ça impacte ma vie de tous les jours: j’ai encore perdu un ami le jour de l’an, lors d’une fête dans un bar, d’une overdose d’héroïne. »
À l’en croire, l’habilité de David Joy à raconter des histoires est inscrit dans son ADN depuis des générations. « Une de mes profs m’a dit un jour que les gens qui sont nés dans le Sud ont un énorme avantage sur les autres parce que chez nous, il y a une vraie culture du storytelling. Que ce soit par ma grand-mère, mon oncle ou même à l’église, j’ai été entouré par des récits, des histoires. Je ne dis pas que ça n’existe pas ailleurs mais ici, les gens sont inséparables de leur environnement. Le sens de la communauté est très fort et ancré. Enfant, je voyais ma grand-mère trois fois par semaine et quand on se baladait, elle me disait en montrant une maison: « Tiens, c’est untel qui l’a construite ». Ce n’est sans doute pas un hasard si je suis devenu écrivain quand j’y pense… »
Nos vies en flammes, de David Joy, éditions Sonatine, traduit de l’anglais (États-Unis) par Fabrice Pointeau, 344 pages. ****
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