Le livre de la semaine: Utopia Avenue de David Mitchell

4,5 / 5
© PATRICE NORMAND

David Mitchell, Éditions de l'Olivier

Utopia Avenue

752 pages

4,5 / 5
Utopia Avenue
© National
Anne-Lise Remacle Journaliste

Utopia Avenue ausculte la carrière ascensionnelle d’un quatuor musical hybride des sixties et ouvre grand les coulisses de leurs morceaux.

A Londres, au mitan des sixties, Dean Moss vient de se faire éjecter du groupe Battleship Potemkin. Dépouillé en pleine rue et mis à la porte par sa logeuse intraitable, il hésite entre rentrer dans sa famille, à Gravesend, ou s’enfoncer dans Soho pour dénicher quelqu’un prêt à le dépanner. Sa route croise celle de Levon Frankland, manager canadien excentrique, bien décidé à créer un groupe de toutes pièces. Outre le bassiste prolo, il a dans son viseur un guitariste néerlandais en inadéquation sociale (Jasper de Zoet) et un batteur de jazz franc du collier (Peter Griffin, dit Griff), coincés dans une formation de seconde zone. A la faveur d’un règlement de comptes, ces trois-là trouvent leur tempo commun pour la première fois. S’ajoutera à eux une pièce essentielle du puzzle, au clavier. Elf Holloway, songwriteuse de bonne famille, a déjà à son compte un EP solo et un EP en duo avec son petit ami australien. Mais ce dernier l’a plantée pour partir à Paris. Avec ce début de carrière tué dans l’œuf, rejoindre un groupe, même naissant, est peut-être sa meilleure perspective. Doté de trois compositeurs (Elf, Dean et Jasper), le groupe nommé Utopia Avenue ne manque pas de matière et d’éclectisme, entre folk, blues et psychédélisme. Au-delà de l’instinct de Levon, leur reste à faire leurs preuves dans cette ère où tout – des mœurs à la musique, en passant par quelques révolutions – semble possible. Des premiers concerts chaotiques aux entretiens, des plateaux télé factices aux passages radio âprement négociés, la route vers la gloire (et l’Amérique) peut s’avérer rocailleuse et il leur faudra maintenir l’harmonie, même quand le tragique s’en mêle.

Utopia Avenue
© National

Trois albums

C’est sur l’inspiration à même la vie de la musique que s’appuie de façon judicieuse David Mitchell: chaque chapitre correspond au contexte de création d’un morceau. D’un décès familial pour Elf (Even the blue bells) à une rencontre en chambre noire pour Jacob (Darkroom), le maillage des albums d’Utopia Avenue est constitué de ce qui gratte (santé mentale vacillante, pères toxiques), questionne (homosexualité latente) ou donne du courage à chacun des protagonistes. Chaque soirée sera l’occasion pour le quatuor de se frotter à ses pairs, plus ou moins prompts à dispenser des conseils: David Bowie – «artiste en tous genres» – à l’entame de sa carrière, Brian Jones en plein trip, Leonard Cohen échappé d’un ascenseur du Chelsea Hotel, Mama Cass en Californie et quantité d’autres. Il y a ici une vraie euphorie à faire pleinement corps avec ces quelques années autour du Summer of Love, par l’intermédiaire de ces quatre fantastiques qui ont tout à apprendre. Reste qu’un roman de David Mitchell ne serait pas tout à fait complet sans twists temporels. On vous laisse découvrir ces torsions surprenantes, cherries on top intertextuelles!

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