Caroline De Mulder, Gallimard
La Pouponnière d'Himmler
288 pages
Caroline De Mulder offre un regard féminin inédit autour du projet nazi destiné à créer une race pure dans des foyers très particuliers.
Jamais avare d’ignominie, Heinrich Himmler mettait sur pied le 12 décembre 1935 son effroyable projet Lebensborn, dont le but était de donner à des filles mères « racialement valables » la possibilité d’accoucher, en cachette de leurs parents, et d’abandonner, si elles le souhaitaient, leur enfant à la SS qui en assurerait la charge puis l’adoption. Dans ces heim, ces foyers, les femmes enceintes d’un SS ou d’un soldat allemand donnaient ainsi naissance à des enfants blonds aux yeux bleus dans la plus pure tradition aryenne et ce, dans l’anonymat le plus complet. On estime que, entre 1935 et 1945, quelque 20 000 enfants sont nés dans ces maternités SS, dont 9 000 en Allemagne. Voilà pour le contexte du nouveau livre de Caroline De Mulder.
C’est peu d’écrire que l’autrice belge a l’art et le chic de surprendre à chaque roman autant dans la forme que dans le fond. Trois ans après son noir et sociétal Manger Bambi, qui explorait la détresse adolescente via le prisme radical d’une jeune fille en colère de vivre avec une mère pochtronne et ses mecs de passage, la lauréate du Prix Rossel 2010 pour Ego tango signe avec La Pouponnière d’Himmler un roman historique remarquable. Et inédit, parce que la romancière s’attaque à l’innommable d’un point de vue féminin. Une sortie qui résonne aussi avec l’actualité cinéma récente: dans son film The Zone of Interest, le réalisateur Jonathan Glazer donne à vivre l’horreur de la Shoah à travers le prisme du commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss.
Futurs seigneurs de guerre
On fait d’abord connaissance avec Renée, jeune Française tondue parce qu’elle a eu le malheur de s’éprendre d’un soldat allemand et qui atterrit dans le Heim Hochland, en Bavière en 1944 afin de poursuivre sa grossesse non désirée. Ensuite, Schwester Helga prend le relais. Helga est une infirmière appliquée, dans les petits papiers d’Himmler. La troisième voix de ce roman suscitant l’effroi à bien des égards est masculine: Malek, un ex-« pensionnaire » de Dachau, manutentionnaire de l’endroit et vivant dans des conditions atroces.
Forte d’un travail de documentation dantesque, l’autrice de Bye Bye Elvis nous partage ainsi l’horaire des futures mamans, où le premier allaitement en silence est à 5 heures du matin et où l’activité de la communauté le 9 septembre 1944 est consacrée à la lecture à voix haute de Mein Kampf. Cette avalanche d’informations rend ce récit finalement très immersif mais pas moins effrayant. Épousant avec intelligence et empathie les points de vue des trois protagonistes qui fluctuent et évoluent au fil des jours, Caroline De Mulder nous plonge dans l’horreur pure, à l’image de cette citation de Herr Doktor: « Ces enfants sont précieux, ce sont nos futurs Seigneurs de guerre, ils sont l’avenir de notre peuple ». Tout aussi habilement, la romancière achève cette incursion dans ce projet nauséabond par une touche de lumière ô combien salutaire.
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