Comment se porte le livre belge | Geoffroy Wolters (PILEn): « Il faut rendre le livre plus attrayant »

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Nicolas Naizy Journaliste

Pendant le mois de novembre, vous avez peut-être vu fleurir dans les librairies des affiches vous posant cette question “Lisez-vous le belge?”. À travers la quatrième édition de cette opération coordonnée, le PILEn, plateforme interprofessionnelle du livre et de l’édition numérique, met à l’honneur le livre belge francophone. Roman, BD, essai, livre de cuisine, guide touristique, code juridique ou ouvrage scientifique. Un coup de projecteur sur les auteurs et éditeurs locaux avec la collaboration des librairies et des bibliothèques. Mais aussi un coup de pouce à un secteur qui, de l’auteur au lecteur, doit trouver sa place dans un marché hyper concurrentiel. Avec le coordinateur du PILEn, Geoffroy Wolters, nous faisons le point sur un secteur économique qui se structure petit à petit. Une recette: l’union fait la force. On est en Belgique après tout!

En quoi l’opération Lisez-vous le belge? est-elle indispensable?

Elle est indispensable parce que le marché du livre francophone est dominé par la France. Je dirais même par Paris et encore par une poignée de très grands éditeurs qui inondent le marché avec leur production. Trouver son chemin là-dedans n’est pas évident. Sur le marché francophone du livre, la Belgique n’est qu’un petit pourcentage. Ici, la majorité de la communication se fait à destination du grand public. Elle se fait en collaboration avec les différents acteurs. On contacte les éditeurs et on sélectionne avec eux trois ouvrages de chaque catalogue, on produit du matériel promotionnel qui permet de promouvoir le livre belge dans les libraires et dans les bibliothèques. Certains mettent en avant des piles d’ouvrages, d’autres sont beaucoup plus actifs par l’organisation d’événements.

Le PILEn a été créé en 2012 notamment pour fédérer le secteur face au défi du numérique. Qu’en est-il onze ans plus tard?

Nous sommes en effet le Partenariat interprofessionnel du livre ET de l’édition numérique. Mais cette mutation numérique s’est avérée bien plus faible que prévue. Aujourd’hui, le livre électronique ne représente qu’une toute petite part de ce qui est publié. On est resté extrêmement fidèle au papier. Et les libraires font toujours leurs chiffres sur le papier. Ceci dit, d’autres évolutions s’annoncent. Prochainement nous nous pencherons sur le livre audio. Les mutations technologiques sont donc bien là. Les gros éditeurs se sont d’ailleurs positionnés en créant leur propre plateforme. En Belgique, on est trop petits pour agir, la mutualisation est essentielle.

La mutualisation s’est notamment manifestée dernièrement par la conclusion entre les acteurs et les autorités politiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles d’un contrat de filière. Quelles sont les avancées principales de ce contrat?

C’est d’abord une prise de conscience que cette filière existe et un rappel du poids qu’elle pèse au niveau économique. Ensuite, le contrat permet de pérenniser des moyens et des initiatives, soit de la stabilité. Enfin, le contrat permet de fédérer les acteurs pour que les actions soient coordonnées et efficaces. Ne pas saupoudrer les moyens en somme.

Les éditeurs belges -l’ADEB réunissant en gros les poids lourds et le collectif des Éditeurs singuliers constitué de plus petites structures- ont fait aboutir une première concrétisation: la mise sur place d’une structure commune de distribution du livre.

Quand on est un petit éditeur, on n’a pas accès aux grands systèmes de distribution, en Belgique ou en France. Ce n’est pas tout d’écrire et d’éditer un livre, encore faut-il qu’il arrive en librairie. Pour qu’un libraire puisse le commander facilement, le livre doit être référencé sur les outils professionnels. Tout ça prend une énergie folle au petit éditeur, pour une efficacité moyenne voire médiocre. Mais pour avoir accès aux grands groupes de distribution -MDS ou Dilibel, par exemple-, il faut une masse critique minimale. On a donc négocié avec MDS qui a accepté de négocier avec les éditeurs regroupés au sein d’une coopérative basée à Louvain-la-Neuve, un interlocuteur unique donc. ça permet au libraire qui doit commander un exemplaire d’un livre d’un petit éditeur de diminuer les frais de port en l’intégrant à ses commandes quotidiennes auprès de MDS. Toutes les BD, les mangas, les romans des grandes maisons viennent de là. À ça, on a collé une première expérience de diffusion commune. Car il faut aussi parler des livres et les faire connaître aux libraires. Une solution légère a été mise en place cette année. L’étape suivante sera d’étendre en 2024 la distribution et la diffusion mutualisées à la France.

La littérature québécoise est de plus en plus visible chez nous. La manière dont se sont organisés les acteurs du livre québécois est-elle inspirante?

Tout à fait quand on voit comment les Québécois ont pu se faire connaître sur notre marché. Mais il y a une question de moyens. Je ne connais pas les budgets québécois mais je connais les nôtres. Si le budget de la culture en Fédération Wallonie-Bruxelles pèse environ 1 milliard, le livre ne représente qu’environ 4 millions, tout le secteur compris, soit 0,004%. Ce qui est un peu difficile à avaler. Surtout au vu du poids économique de la filière livre. Faisant travailler quelques dizaines de milliers de personnes directement ou indirectement, elle représente entre 10 et 15% des emplois des industries culturelles. 50% de la production de livres papier sont exportés, essentiellement de la BD. 90% de la BD produite en Fédération Wallonie-Bruxelles sont exportés. Les ventes de livres aux particuliers représentent 265 millions d’euros, dont 75% sont des livres importés et le reste c’est de la production nationale, tous genres confondus. Ce n’est pas rien.

Mais si le livre belge a eu tant de mal à percer, était-ce juste en raison d’un manque d’organisation?

Il y a un autre élément: il faut rendre le livre davantage attrayant en Fédération Wallonie-Bruxelles. Le livre belge, mais même le livre tout court. Dans un pays où on ne lit pas, ça ne sert à rien de faire de la promotion du livre belge. Deux axes aussi ici: un soutien aux librairies indépendantes -de belles choses ont été faites pendant le Covid, dont un achat massif de livres belges à destination des bibliothèques et des librairies. Et il faut aussi agir du côté de l’enseignement, spécialement dans le primaire. On constate qu’il n’y a pas toujours une bibliothèque par classe. Et quand il y en a une, elle est souvent alimentée de bric et de broc. Il y a donc là aussi un soutien à faire des pouvoirs publics pour pousser la lecture en classe et en famille. Et là-dedans promouvoir la littérature belge.

Geoffroy Wolters

1991 Diplômé de la Louvain School of Management.

2000 Entre à la Ciaco, coopérative néo-louvaniste à la fois imprimerie, papeterie et libraire universitaire. Il en sera le general manager de 2014 à 2023.

2023 Devient le coordinateur du PILEn, Partenariat Interprofessionnel du Livre et de l’Édition numérique.

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