Comment David Foenkinos est-il devenu écrivain en frôlant la mort? Réponse avec Tout le monde aime Clara, son nouveau roman (rencontre)

La rencontre avec la mort a «propulsé follement» l’écrivain David Foenkinos «vers la beauté». © FRANCESCA MANTOVANI
Fabrice Delmeire Journaliste

Avec Tout le monde aime Clara, roman choral établissant un lien entre voyance et écriture, David Foenkinos fait écho à sa transformation en écrivain.

Après un long séjour dans le coma, Clara, 17 ans, révèle un don pour la voyance. Ses intuitions puissantes la guident vers un écrivain cartésien et pessimiste ayant renoncé à son désir littéraire. Au travers de l’alliance d’une jeune fille qui voit et d’un écrivain qui ne voit plus, David Foenkinos revisite le bonheur qui s’épuise. Pour la première fois, l’auteur de La Délicatesse s’empare du thème de la voyance pour tisser –presque malgré lui– un parallèle avec sa propre expérience de mort imminente vécue à 16 ans. «L’inconscient s’épanouit pleinement entre les virgules.» Marqué par les incertitudes de l’époque, tourné vers la bienveillance et l’épanouissement personnel, on prédit à Tout le monde aime Clara un joli succès qui ne devrait pas faire mentir son titre.

A l’instar de Clara, plongée dans le coma, le livre demeure dans un premier temps en suspension… Comme s’il «couvait» son dessein romanesque avant de le révéler au lecteur?

J’aime l’idée qu’on se demande durant les deux premières parties où les choses peuvent aller, quelle est la destination romanesque. Je trouvais excitant d’avoir une jeune fille de 16 ans qui se révèle voyante, un écrivain qui n’écrit plus depuis 40 ans, en se disant qu’à un moment donné leurs routes allaient se croiser, que tout aurait une signification. C’est vrai que c’est un livre sur la révélation puisque Clara va éveiller la vie des autres. Il faut se fier à ses intuitions et à la façon dont on veut présenter les choses. J’aimais l’aspect, non pas de perdre le lecteur, mais de ne pas être en permanence soumis à l’idée qu’il faille séduire.

Le livre tisse un parallèle entre l’écriture et le don de voyance. Il est presque surprenant que vous ne soyez pas déjà allé vers ce genre de thématique…

Ça fait des années que je tourne autour. Ce n’est pas artificiel pour moi d’aborder ces sujets. Toute la part d’incompréhension de nos vies me passionne. Je suis assez mystique: je crois aux forces de l’esprit, à la numérologie, à l’astrologie… Mais je n’osais pas, je trouvais un peu étrange d’aborder ces sujets-là. J’attendais le bon personnage, le bon moment. Ce qui me touche le plus, ce sont les signes. On peut tous avoir des intuitions, être en connexion immédiate avec un lieu, une personne. Je cite Patrick Modiano: «J’avais 20 ans mais ma mémoire précédait ma naissance.» On peut porter en nous des formes d’hérédité et d’émotions.

Clara découvre son don au sortir du coma. Pensez-vous que votre rencontre avec la mort à l’âge de 16 ans (NDLR: victime d’une maladie pulmonaire, il passe plusieurs mois à l’hôpital) a révélé votre prédestination à l’écriture?

C’est complètement fou: je ne me suis pas rendu compte que j’écrivais l’histoire d’une fille hospitalisée à l’adolescence et qui se réveille avec la voyance. Au bout du compte, c’est exactement ce que j’ai vécu. Certaines personnes vous diront: j’ai eu un arrêt de mort parce que je m’embarquais dans un destin qui n’était pas le mien. Mon corps a décidé de me réorienter vers où je devais aller. Sans cette maladie, je ne serais jamais devenu écrivain. C’est ce que j’ai ressenti. Clairement, je ne peux pas nier que la rencontre avec la maladie, la fragilité, la mort, a totalement déverrouillé quelque chose en moi. Au sortir de l’hôpital, alors que je n’étais pas issu d’un milieu littéraire, que je ne lisais pas, je me suis mis à avoir de l’imagination, je me suis inscris en école de jazz, je suis devenu un lecteur boulimique… Toute ma vie a changé! C’est quelque chose que non seulement je ne mets pas en doute, mais j’en ai la certitude. La rencontre avec la mort m’a propulsé follement vers la beauté.

«J’ai ce désir d’aller frontalement dans la gravité mais avec délicatesse.»

Déjà présent au sein de vos ouvrages, l’épanouissement émotionnel semble particulièrement au cœur de vos trois derniers livres (Numéro deux, La Vie heureuse, Tout le monde aime Clara). Peut-on parler d’un cycle sur le thème de la résilience?

Mon livre actuellement le plus lu est aussi mon livre le plus douloureux: Vers la beauté, qui traite d’une agression. Depuis deux ou trois ans, notamment grâce à TikTok, j’ai beaucoup de jeunes qui se sont emparés de ce livre et qui m’écrivent. Oui, j’ai effectivement ce désir d’aller frontalement dans la gravité mais avec délicatesse. Chacun a son fonctionnement dans la consolation, dans ce qui est important. L’expérience de la douleur et de la mort pousse à se positionner très fortement vers une vie qui nous paraît juste. Plus une époque est fragile, plus on s’interroge sur ce qui est essentiel, sur notre définition du bonheur. C’est au cœur de nos interrogations.

Le thème de l’économie du couple, découvrant le désamour, revient régulièrement sous votre plume… A la façon d’un riff de guitare que vous allez jouer d’une manière différente?

J’ai le sentiment d’écrire des livres très différents dans leur univers, mais il y a des choses qui reviennent tout le temps, presque comme un riff, oui. Dans ce livre, il y a plusieurs histoires d’amour et j’aborde des choses inédites pour moi: l’histoire d’un homme de 25 ans avec une femme plus âgée, le fait de ne pas pouvoir assumer socialement un couple. La situation la plus romanesque, ce couple qui ne s’est pas parlé depuis plusieurs années et qui renoue au chevet de leur fille, écrasé par la peur et le chagrin, c’est la partie qui me touchait le plus. Disons qu’il y a quelques best-of et des inédits! (sourire)

C’est déjà votre vingtième livre. Vous êtes un boulimique de travail?

Absolument. J’aimerais ralentir… mais j’ai déjà écrit la moitié du prochain. Je sais que je trouverais ça plus chic, même dans la réception: les gens diraient «tiens, il a mis trois ans à écrire ce livre»… On peut écrire des chefs-d’œuvre en un mois et des navets en dix ans. Quand je finis un livre, je me mets en panique, je ne supporte pas le vide en fait. Je cherche de manière obsessionnelle, je ne peux pas vivre sans avoir un projet en tête, c’est une tyrannie absolument nécessaire pour moi. C’est une bouée de sauvetage aussi.

Tout le monde aime Clara

de David Foenkinos, éditions Gallimard, 208p.

La cote de Focus: 3/5

Au sortir du coma à la suite d’un accident de voiture, Clara, 17 ans, manifeste un don pour la voyance qui la connecte à un écrivain en panne sèche. «Mariage d’évidence» entre écriture et mysticisme, le nouveau David Foenkinos se joue d’une construction en «Slow Burn» (combustion lente). Plus fragile que ses récents Numéro deux et La Vie heureuse, il prolonge leur réflexion sur la définition personnelle du bonheur, la nécessite de se réinventer. Entrelaçant histoires et personnages, sa musique sur l’économie du couple et son désamour vient enrichir la partition de quelques (dés)accords bien sentis. On goûte ses intuitions sincères, les apartés cocasses de bas de page, les adresses savoureuses quant au métier d’écrire: «Activité improbable, réservée aux dépressifs et aux illuminés.» Dans notre boule de cristal: un vibrant succès.

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