Charles Forsman, esprit US (interview complète)

© L'Employé du Moi
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’auteur de The End of the F***ing World sort Pauvre Sydney!, toujours chez L’Employé du Moi, et s’expose à Cultures Maison. Netflix n’a pas changé grand-chose à ses connexions belges.

Il fait partie des 15 auteurs américains, publiés en français par les maisons Ça et Là et L’Employé du Moi, dont le travail est à voir pendant l’exposition Indie Americans de Cultures Maison. Il est aussi l’auteur de Pauvre Sydney!, son nouvel opus chez L’Employé, récit âpre, intense et tragique d’une ado des « suburbs » en errance. Et il est aussi l’auteur de The End of the F***ing World, comics adapté avec succès par Netflix, qui vient d’ailleurs de mettre en chantier une deuxième saison. Année faste donc pour Charles « Chuck » Forsman, qui ne s’en formalise pourtant pas trop: « L’expérience a été très positive, mais j’essaye de faire en sorte que ça n’affecte pas ma manière de faire de la BD ».

Sydney, ado de 15 ans mal fagotée, mal dans sa peau et mal dans sa sexualité comme Charles Forsman en a croisé beaucoup dans les banlieues du Maine (« Y compris moi, Sydney correspond à 80% à ce que j’étais« ), est capable, par la simple force de son esprit, de faire du mal aux autres, et aussi à elle-même. Une métaphore du mal-être qui règne dans une certaine Amérique, et qui l’emmènera jusqu’au bout du tragique. Mais toujours chez L’Employé du Moi, à qui Charles est fidèle pour tous ses albums en français (trois avec Sydney).

L’Employé du Moi publie aujourd’hui en français votre récit à l’origine baptisé I’m Not Okay With This. Quand a-t-il été réalisé? Après The End of the F***ing World (publié aux USA en 2013)? On y retrouve le même univers.

Après, oui. J’ai du commencer en 2016 et le finir en 2017. C’était aussi après deux volumes de ma série Revenger, qui étaient très différents de TEOTFW, très inspirés par les comics des années 80 et 90 (inédits en français, NDLR). Ici, je voulais faire quelque chose de totalement différent, un retour à l’atmosphère de TEOTFW dans le ton et le style, mais saupoudré de super pouvoirs.

Pourquoi avoir choisi une telle héroïne? Une jeune fille de 15 ans, mal dans sa peau et dans sa vie, avec des pouvoirs psychiques… Elle vous a été inspirée par des proches?

Oui, Sydney ressemble par de nombreux aspects à des gens que je connais, y compris moi. Elle correspond à 80% à ce que j’étais à son âge, ça ne me semblait donc pas trop compliqué de comprendre et transmettre ses émotions et sa manière d’agir. Je trouvais ça intéressant de voir comment une jeune fille comme elle pouvait réagir au fait de détenir de tels pouvoirs psychiques. Et je pense que ce serait douloureux et salissant! C’est ça que je voulais explorer ici.

Charles Forsman, esprit US (interview complète)

Vous êtes d’accord si je vous dis que le récit de Pauvre Sydney! est très dur, et que sa fin est particulièrement triste? Un dénouement tragique que vous aviez anticipé?

C’est très dur effectivement. Si j’avais passé plus de temps à y réfléchir, peut-être que j’aurais écrit la fin un peu différemment. Elle me met moi-même un peu mal à l’aise, d’autres personnes aussi, mais je pense que c’est une réaction réaliste face à la situation dans laquelle Sydney se retrouve. Je sais qu’il y a eu des moments, dans ma propre vie, où la merde s’entassait, et que j’aurais été capable de prendre les mêmes décisions qu’elle. Ce n’était pas difficile à imaginer. Je ne dis pas que c’est bien. Moi aussi j’ai dû me battre contre des maladies mentales, mais j’ai eu la chance d’avoir de l’aide et beaucoup de supports. J’encourage tous ceux qui se sentent mal ou isolés à faire appel aux structures qui existent.

Quelques mots quand même, à propos de l’adaptation de TEOTFW par Netflix. Est-ce que ça a changé votre vie, votre travail? Et vous attendiez-vous à une deuxième saison, comme ça a été récemment annoncé?

L’expérience a été très positive, mais j’essaye de faire en sorte que ça n’affecte pas ma manière de faire de la BD. Je veux que ça reste « mon truc ». Je ne veux pas commencer à écrire pour une certaine audience ou un marché de masse. Ça ne m’intéresse pas. Mais ça a un peu changé la vie que j’avais dans le sens où j’ai maintenant un peu plus de liberté pour créer mes comics, sans stress ou en m’inquiétant moins de savoir comment je vais payer les factures. Et j’ai vendu beaucoup plus de livres grâce à la série, ce qui est très gratifiant. Surtout parce que je pense que le livre a été lu par des gens qui ne lisent pas régulièrement des comics, parfois jamais. Ça me fait du bien de me dire que j’ai pu montrer des comics à de nouveaux regards. J’ai aussi reçu quelques propositions, mais toutes, bizarrement, en dehors du milieu BD. Cette seconde saison est en tout cas une surprise. Personne n’avait espéré que la série ait un tel succès populaire. Et je suis très excité de voir dans quelles directions Charlie Covell (scénariste britannique de la série, NDLR) va évoluer. Elle est assez incroyable.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez un lien fort avec la Belgique: comment avez-vous choisi de travailler avec une petite structure comme celle de L’Employé du Moi?

J’ai rencontré Max de Radiguès (auteur qui participe à la gestion de la maison d’édition, NDLR) il y a dix ans dans le Vermont. Nous sommes devenus amis et il m’a donné de très bonnes leçons pour devenir un meilleur dessinateur, une sorte de mentor. On s’est toujours soutenu, ça s’est donc fait de manière très naturelle. J’aime leur manière de gérer la maison d’édition comme une coopérative.

On peut facilement penser, en tant que lecteurs, que l’auteur que vous êtes a eu une vie similaire à celles de vos personnages: des marginaux, très mal à l’aise avec l’American Way of Life. C’est encore le cas?

Ha ha, oui et non. C’est une question qu’on me pose souvent, je ne suis pas certain du pourquoi. On me demande souvent aussi si j’ai tué quelqu’un! Évidemment que non. Ceci dit, j’ai été un gosse très anxieux et frustré qui a grandi dans une banlieue américaine, ça donne des parallèles évidents avec mes personnages, mais je suis d’abord un écrivain. Je crée de la substance. J’aime penser que je provoque ce genre de réaction parce que je fais bien mon job.

Comment expliquez-vous l’intérêt des Européens pour les comics alternatifs américains? Est-ce très différent? Et voyez-vous vous aussi des points communs entre vous et des auteurs comme Derf Backderf, John Porcellino ou Noah Scriver, réunis à l’exposition de Cultures Maison?

Pour être honnête, je ne sais pas très bien comment l’underground US est reçu en Europe. Je sais par contre qu’en Amérique, beaucoup de mes pairs sont fascinés par l’industrie de la bande dessinée en Europe. Elle est vue comme exemplaire, comme on aimerait que soit l’industrie US. Ici, les superhéros continuent de dominer, si pas les ventes, au moins les conversations, jusqu’à rendre l’air irrespirable. Ça va mieux, mais c’est toujours un vrai combat. Vue d’ici, l’Europe semble avoir un lectorat et des éditeurs beaucoup plus ouverts, avec une variété infinie dans les genres disponibles. Il y a l’argent aussi: aux USA, il n’y a aucune aide publique pour la création ou l’édition, en tout cas pas dans le comics. Quant à Derf, John et Noah, je suis honoré qu’on associe mon nom aux leurs, mais ce n’est pas à moi d’effectuer des comparaisons.

Dernière question, je suis un peu perdu: je dois vous appeler Charles ou Chuck?

Vous pouvez m’appeler Chuck mais je publie sous le prénom de Charles. Tout le monde m’appelle Chuck.

Pauvre Sydney!, de Charles Forsman. Éditions L’Employé du Moi. Traduit de l’américain. 176 pages. ****

Indie Americans, du 21/09 au 30/09 à LaVallée, dans le cadre de « Cultures Maison ». www.culturesmaison.be

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content