
La réédition du roman de Corinne Aguzou La Révolution par les femmes, Brûler debout du Québécois Mathieu Blais et le polar de Bruno Sanderling Bangui Plage: notre sélection livres de la semaine.
1.La Révolution par les femmes
Roman de Corinne Aguzou.
Editions Tristram, 192 pages.
La cote de Focus: 4/5
Comme les films, les livres «ressortent» parfois. C’est le cas de La Révolution par les femmes. Ce roman de Corinne Aguzou, publié en 2006, était passé quasi inaperçu. Le public (et la presse) n’était peut-être pas prêt pour un premier roman audacieux, drôle et, par-dessus tout, féministe. Les savoureuses éditions Tristram ont jugé qu’après la déflagration MeToo, le livre «exige d’être à nouveau lu». On ne les contredira pas.
On ne sait ni quand ni où exactement se déroule l’action, mais les différents protagonistes (une internée, une universitaire, une militante féministe, un handicapé mental…) se débattent dans et autour d’un lieu labyrinthique baptisé «le Blockhaus». Au sein de cet énigmatique édifice à la fois asile psychiatrique, prison, centre de luttes féministes, théâtre –un véritable laboratoire–, les hommes en charge d’un pouvoir quel qu’il soit (docteurs, gardiens) sont presque tous des prédateurs. Chacun, désigné par une anagramme du prénom Boris, représente, comme le dit l’autrice, «le rouage d’un système» qu’on peut qualifier d’oppressif.
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Hasard de lectures simultanées, on a commencé ce livre en même temps que le fameux Tous les chevaux du roi de Michèle Bernstein, première compagne de Guy Debord. On ne sait rien d’éventuels penchants situationnistes chez Corinne Aguzou, mais on a cru déceler ici, outre un style prenant et incisif vaguement comparable, un même goût pour l’humour et l’ironie. Car si l’autrice parle à juste titre de «roman de combat», cela ne l’empêche pas de placer ses guerrières dans des situations aussi tragiques que burlesques. Armées de leur langue et de leurs réflexions mûries à travers des années d’oppression, elles s’agitent comme elles le peuvent dans ce fichu «Blockhaus» comme sur une scène improvisée –«Sans coup de théâtre, il n’y aurait pas de théâtre», songe d’ailleurs délicieusement Barbara, l’une d’elles. Essaiment alors de l’étrange bâtiment des pensées diablement actuelles. Et de ce récit choral fabriqué en entonnoir jaillit, déjà, un engouement collectif, une lueur d’espoir féministe. Même avec 19 ans de retard, la littérature surprend encore.
M.R.
2.Brûler debout
Roman de Mathieu Blais.
Editions Denoël, 272 pages.
La cote de Focus: 3,5/5
Ils sont une poignée à «suer leur vie» dans les Concessions de la Compagnie pour l’exploitation du Nord. A planter des pousses d’épinette sous le joug d’un contremaître tyrannique qui les traite comme du bétail. Lorsqu’on retrouve pendu ce «patron comme il s’en est trop fait», les cinq gars et la Mélisse sautent dans un vieux Ford Bronco avec des carabines et le sentiment «de vouloir, pour une fois, nous appartenir». C’est le début d’une cavale furieuse, sanglante, incendiaire. La première page de la légende de ceux qu’on appellera bientôt «le Gang du Nord». Première œuvre du poète et romancier montréalais Mathieu Blais à connaître une distribution chez nous, Brûler debout porte haut les couleurs de la langue québécoise. Dans un mélange «de résine et de boucane», l’écriture crépite à chaque page, entre lyrisme poétique et prose combat. Inspirés par les légendes de l’Ouest (Butch Cassidy, Billy the Kid et consorts), ses antihéros forment une confrérie de hors-la-loi ivres de liberté. Rien n’arrête leur échappée sauvage, ni les shérifs ni la morale, tandis que braquages et cadavres s’amoncellent.
Ponctué de mouvements d’accalmie millimétrés au montage «cut», ce road trip viscéral et anarchiste déploie par ailleurs un déluge de violence graphique. Les scènes d’action alternent entre ralentis à la Sam Peckinpah (The Wild Bunch), trip d’acide à la Tueurs nés (Oliver Stone) et explosion paroxystique chère à Tarantino. En rage contre le petit quotidien et son «esti de croissance», ces punks des bois vont bouter le feu à la société de consommation (avec clin d’œil aux films de zombies de Romero). Si elle patine parfois dans l’ornière de quelques redites, cette chevauchée indomptable impressionne par «sa carrure et sa parlure». C’est le nouveau western.
F.DE.
3.Bangui Plage
Polar de Bruno Sanderling.
Ker Editions. 252 pages.
La cote de Focus: 4/5
Après une erreur plus administrative que judiciaire dans un dossier de régularisation d’un sans-papier à Bruxelles, puis un passage éclair dans une cellule congolaise –éléments qui auront, évidemment, toute leur importance par la suite–, nous voilà à Bangui, en 2019. On y suit Henri, chargé de programmes de la Représentation mondiale et fonctionnaire accablé comme tous les étrangers par la saison chaude en Centrafrique, ce petit pays aux abords du Congo qui concentre tous les maux du continent: conflits armés, pillages des ressources naturelles, pauvreté endémique, violence brute, mercenaires, milices et puis, ce colonialisme persistant des institutions internationales et des puissances étrangères, qui toutes, de l’Europe à la Russie, veulent un bout de la bête…
Dans ce maelström d’enjeux, d’ambitions et de traîtrises dont tous les tenants nous ont sans doute un peu échappé, Henri va (à nouveau?) lier son destin à Théo, un colosse de retour au pays après un long exil, et qui lui aussi cherche sa place. Une histoire de (peut-être) vengeance pour l’un, et d’éventuelle rédemption pour l’autre, qui a deux grands mérites: nous plonger mieux que n’importe quelle info dans ce qui se joue aujourd’hui en Centrafrique et au Congo –en particulier avec des pages saisissantes dans la prison de Makala, à Kinshasa, construite pour 1.500 détenus mais occupée par 15.000– et découvrir un «vrai» nouvel auteur, gagnant du Prix du roman noir de la récente Foire du livre de Bruxelles (l’ex-Prix Fintro), sélectionné sur manuscrit. Bruno Sanderling sait non seulement de quoi il parle (il est consultant en droit international, entre autres en Afrique), mais il le raconte bien. Son premier roman noir évoque ceux de Thomas Cantaloube à la Série noire, et c’est un beau compliment.
O.V.V.
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