Critique | Livres

Caryl Férey nous infiltre dans les mafias du braconnage: un nouveau roman urgent et lumineux

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© éditions gallimard/francesca mantovani

Caryl Férey, Editions Gallimard/Série Noire

Okavango

544 pages

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© National
Philippe Manche Journaliste

Okavango est une immersion au cœur de la faune de l’Afrique australe et de ses braconniers aux méthodes mafieuses. Le nouveau roman urgent et lumineux de Caryl Férey.

Certains gamins rêvent de devenir pompier ou astronaute. Caryl Férey, lui “rêve depuis que je suis môme de buter des braconniers”. L’auteur de Utu, Mapuche et Paz réalise avec son nouveau roman Okavango (du nom du troisième cours d’eau d’Afrique australe) son fantasme d’enfant en s’attaquant au braconnage. Via certains personnages de ce thriller vif, malin et habité par une colère sourde et palpable, il dézingue lors des 50 dernières pages étourdissantes et époustouflantes ces criminels sans scrupules.

Caryl Férey -c’est ce qui fait la force de chacun de ses romans- est parti sur place. Deux fois un mois en Namibie pour séjourner dans un endroit grand comme la Bretagne au cœur de ce que le romancier décrit comme “du bush, du désert, avec quelques rivières qui se forment; où mon fixeur m’interdisait de sortir pendant la nuit une fois ma tente fermée”. En prenant très peu de notes parce que, dit-il, “une fois sur place, je me fonds dans l’espace, je fais partie du biotope comme les acacias ou les animaux. Et je m’imprègne, comme une éponge. Quand je commence à écrire, je suis encore là-bas avec une seule envie: celle d’y retourner.

© National

La horde sauvage

Okavango convie à la “fête” Solanah Betwase, ranger épuisée par un quotidien fait de rencontres d’animaux morts et/ou mutilés. Lorsqu’un jeune homme est découvert mort dans la Wild Bunch -hommage à La Horde Sauvage de Peckinpah?-, une réserve animalière gérée par John Latham, un propriétaire ambigu au passé trouble, Solanah mène l’enquête. Okavango contient tous les codes du thriller, avec un sens de la narration maîtrisé et jouissif. Le roman est extrêmement sensuel et olfactif. On sent la poussière, la crasse, la tension, la peur et on se surprend à être en totale empathie avec ces animaux coursés par les bracos, acculés à l’extrême avant d’être abattus comme des chiens. À frémir avec ces fauves que Caryl Férey humanise avec une réelle affection. Le plus effrayant est que toutes les informations, anecdotes ou scènes narrées dans Okavango sont réelles. Alors oui, il existe bien un lobby dans certains restaurants de Nairobi où le client peut manger du tigre. Oui aussi, le réchauffement climatique a des conséquences désastreuses en Afrique australe. “Il n’est pas immoral de manger de la girafe. C’est plus sain, pour l’environnement, que d’importer des centaines de kilos de tomates d’Afrique du Sud, précise le natif de Caen. Fidèle à son ADN, le Joe Strummer du polar français fait écho aussi à la guerre civile en Angola, un traumatisme encore vif aujourd’hui, même chez les éléphants. Il parvient, grâce à ce sous-texte politique, à faire d’Okavango un (grand) roman d’aujourd’hui, cruel, parce que la disparition de l’espèce animale sera bientôt aussi la nôtre, mais extrêmement lumineux.

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