Barbara Carlotti l’écrivaine: « Écrire permet de chercher »

Barbara Carlotti signe un chœur de femmes en treize voix. © astrid di crollalanza

Barbara Carlotti est invitée pour une lecture musicale à la Maison Poème, à Saint-Gilles, ce jeudi 21 décembre. Elle y présentera L’Art et la Manière, recueil de treize histoires de corps, de cul et de cœur.

Chanteuse, réalisatrice, metteuse en scène, aujourd’hui écrivaine… C’est encore la réduire que de s’obstiner à vouloir ranger Barbara Carlotti dans des cases. “Je pense que si on choisit d’être artiste, c’est qu’on ne veut pas être enfermé quelque part, nous confie-t-elle. Quand j’ai commencé, c’était compliqué de passer d’un genre à un autre, aujourd’hui je trouve que c’est plus fluide. On s’autorise à essayer plusieurs formes, sans que ça n’annule le reste.” Depuis ses débuts, elle navigue au gré de ses envies et ses inspirations, mais toujours avec l’écriture dans un coin de la tête. “J’ai commencé à écrire très tôt. À 9 ans je tenais un journal. Ma mère était d’ailleurs assez inquiète, car je m’écrivais des lettres à moi-même! L’écriture s’est imposée très tôt comme une habitude.

Mais écrire, ce n’est pas encore publier. Elle qui adolescente, “recopiai(t) des poèmes, plagiai(t) même des auteurs dans les dissertations”, va peu à peu trouver la voie qui lui permet de s’émanciper grâce aux mots. D’abord dans les chansons, la musique figurant un “cocon” où elle peut “s’exprimer librement”, au cinéma ensuite, avec son court métrage 14 ans, en littérature enfin, même si l’étiquette pèse lourd en France. Il faut se dégager de ce poids des influences, des conventions. Les influences de Barbara Carlotti sont d’ailleurs souvent anglo-saxonnes: elle cite Raymond Carver, malgré son pessimisme, l’élan vital de Charles Bukowski, l’hypnotique Homme-dé de Luke Rhinehart. Des auteurs américains, elle admire la capacité “à ne pas sanctifier la pratique de l’écriture. Pour eux, il suffit d’avoir vécu pour écrire”. “En France, il y a un comme mythe, il faut avoir lu pour écrire. Moi je crois que s’il y a nécessité de s’exprimer… J’adore lire, mais ça ne devrait pas être indispensable pour écrire. Ce n’est pas ça le cœur de l’écriture.”

Son étincelle à elle vient il y a quelques années, alors que #MeToo libère les paroles de femmes. Plutôt que de mettre son grain de sel sur Twitter, elle décide de prendre la plume. Ou plus précisément, de donner une nouvelle tournure à son écriture. “Plutôt que de participer à la conversation sur les réseaux, je me suis dit que la meilleure manière pour moi d’essayer de comprendre ces enjeux, c’était d’essayer de voir dans des histoires intimes comment les choses se jouaient. Écrire permet de chercher.” Des nouvelles se dessinent peu à peu. Autant de voix plurielles sur un même thème, un chœur de femmes, en quelque sorte. “Oui, l’idée était celle d’une chorale, la sororité était très présente. Au début, je parlais d’elles à la troisième personne, puis j’ai préféré que chacune s’exprime en disant “je”, le discours intérieur me semblait plus fort. Chacune a sa voix, et sa ligne mélodique, mais au final, c’est un ensemble.

Cette collection de nouvelles qui a la densité d’un roman polyphonique (“on pourrait dire un rovel”, plaisante-t-elle) s’apparente à une série de petits traités de l’hétérosexualité vu par le prisme du rapport au corps, à la sensualité et à la sexualité. Ce qui unit les femmes aux hommes, dans les passions et les violences, les aventures et les romances. “J’ai voulu représenter des femmes à tous les âges de la vie, montrer qu’on n’est pas la même personne selon ce qu’on a vécu. Il y a un temps d’intégration des limites, pas forcément développé à l’adolescence. Mon but, c’était de repenser le corps, le rapport aux autres, aux hommes, à la société.

Ces corps qui parfois nous trahissent, par exemple quand ils reproduisent des situations aussi archaïques qu’archétypales qui relèvent du désir des autres avant de coller au nôtre. “Pour prendre le cas de Claire (dans Schizophrénie affective d’une fille bien élevée), elle adore le sexe, mais elle n’est pas très consciente de ce qui se met en œuvre.” Voici comment elle présente les choses: “Dans la baise, il y a l’art et la manière, les bonnes manières et les mauvais coups. La relation sexuelle, dans ce gouffre charnel, est un langage secret qui dévoile le fond de nos êtres. Sans doute est-ce pour cela que j’aime tant baiser. J’ai en moi cette curiosité insatiable. Les mots, que je crois savoir manipuler un peu, me laissent souvent frustrée, ils ne me donnent pas tout à fait les clés de mon existence.” “Claire va malheureusement avoir affaire à un mec hyper agressif et toxique. Elle comprend alors que le langage qu’on parle avec nos corps a aussi ses limites.La sexualité dit nos désirs et nos extases, nos conformismes et nos audaces, mais aussi nos rapports d’exclusion et de domination.

S’il y a une évidence que #MeToo a imposée, c’est bien que l’intime est politique. Notre façon d’être dans la sexualité parle aussi de notre façon d’être au monde. Les treize histoires qui composent le livre explorent ce continent obscur, la sexualité des femmes. C’est sulfureux parfois, poétique, sociologique même, perché souvent, comme la voix de son autrice. Pas question de louvoyer ou d’éviter. “Le parti pris du livre, dès le départ, c’était que la sexualité est comme n’importe quel autre acte de la vie, il fallait pouvoir en parler comme du reste, avec une nécessité d’être frontal, même s’il y a de la poésie. Le désir se crée à plein d’endroits, de différentes manières. C’est aussi en classant la sexualité à part, sous les étiquettes de l’érotisme ou de la pornographie que l’on jette un voile de mystère qui ne permet pas de la penser au sens intime, politique et social.

L’Art et la Manière, de Barbara Carlotti, éditions du Seuil, 224 pages. ***(*)

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