Critique | Livres

Avec “L’Imposture”, Zadie Smith remue une histoire oubliée de l’esclavage

4,5 / 5
Zadie Smith © Alexandra Cameron

Zadie Smith, éditions Gallimard

L'Imposture

546 pages

4,5 / 5

La Britannique Zadie Smith revient dans son roman L’Imposture sur l’affaire Tichborne. Un fait divers qui avait secoué Londres à la fin du XIXe siècle. Passionnant.

1873. Eliza Touchet exerce sa liberté partout où elle l’entend. Abolitionniste et féministe, elle vit avec son cousin, écrivain dont elle tolère la médiocrité par fidélité au souvenir de sa première femme. Son insatiable curiosité trouve une caisse de résonance dans un procès qui passionne les Londoniens, l’affaire Tichborne. L’honnêteté de Tichborne est questionnée: riche héritier disparu en mer, il réapparaît sous des traits étonnamment frustres pour réclamer son dû, son identité étant confirmée par son ancien esclave.

Roman De Zadie Smith, éditions Gallimard, traduit de l’anglais par Laetitia Devaux, 546 pages.

Découverte en l’an 2000 avec Sourires de loup, Zadie Smith s’est imposée comme la romancière incontournable d’une Angleterre hyper contemporaine et multi-ethnique sur laquelle elle pose un regard acéré. Situé à la fin du XIXe siècle, L’Imposture, qui n’est pas tant un roman historique qu’un roman sur l’Histoire, est pourtant tout aussi contemporain que ses prédécesseurs, qui explore les angles morts du roman victorien. Smith s’en émancipe pour mieux mettre en lumière ses zones d’ombre. Grand absent des romans de l’époque, l’esclavage est pourtant la source de la richesse de nombre de ses protagonistes.

L’Imposture débute après l’effondrement d’un plafond, sous une bibliothèque pleine à craquer. C’est surement « le poids de la littérature » qui l’a mis sous pression, suggère un jeune ouvrier. Au commencement, l’imposture est littéraire. C’est celle d’Ainsworth, écrivain graphomane au talent contestable. Mais alors que le récit se déploie dans le temps et l’espace en une succession de courts chapitres au rythme étourdissant, l’imposture prend une tout autre ampleur. Il y a celle, questionnée, de Tichborne, l’imposture sociale d’un homme de la classe laborieuse qui se fait passer pour un héritier de la classe dominante. Il y a celle d’Andrew Bogle, l’ancien esclave qui s’arroge le droit de statuer sur la vérité. Des impostures de résistance, comme celle d’Eliza d’ailleurs, femme libre qui s’autorise à aimer le monde, tout le monde. Et puis il y a la grande imposture, celle d’une Angleterre qui ferma (et ferme encore?) les yeux sur l’esclavagisme qu’elle fit prospérer. Un roman passionnant, porté par une héroïne qui l’est tout autant, et qui prend le temps de faire exister Bogle, l’esclave désormais affranchi, figure douloureusement absente de la littérature de l’époque.

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