Adam Thirlwell, L'Olivier
Le Futur Futur
320 pages
D’une spectaculaire ambition narrative, Le Futur Futur joue de nos repères spatio-temporels et réfléchit pêle-mêle le patriarcat, le pouvoir de la littérature, la puissance insoupçonnée des dominés et la porosité du temps.
« Les siècles se succèdent, mais tout arrive dans l’instant présent. » Céline, une jeune femme de 19 ans, mène ce qui s’apparente à une vie d’oisiveté dans le Paris du XVIIIe siècle. Alors que débute le livre d’Adam Thirlwell, elle est la cible d’une série de pamphlets qui enflamment la bonne société, projetant d’elle une image qui ne lui appartient plus -« La fille dans les histoires à son sujet n’était pas une fille qu’elle connaissait ». Alors pour faire face et faire front, se réapproprier son identité, elle s’allie à Marta et Julia, avec lesquelles elle décide de monter un salon littéraire où la riposte s’organiserait, où de nouveaux mots seraient produits pour contrer les premiers. « Si tu veux faire peur à ces hommes, suggère Marta à Céline, tu dois avoir quelque chose qu’ils veulent. » Dans ce monde où les mots des hommes font loi, leur amitié va les aider à contourner la domination masculine.
Mais le pouvoir est un objet mouvant. L’argent devient un temps la valeur refuge, outil de résistance et de protection, d’autant que Céline devient mère, et pose un œil nouveau sur ce futur qu’elle appréhende de façon fluctuante. Comme le temps file, on ne sait plus trop parfois dans quelle direction les liens amicaux se distendent, on se perd de vue pour mieux se retrouver, tandis que les forêts brûlent et les enfants grandissent. Au hasard d’une fête plus arrosée que les autres, les frontières spatio-temporelles tombent, Céline se retrouve projetée en 2251, et découvre sur la Lune une tout autre civilisation, où les couleurs chatoient autrement, où l’on est naturellement genderfluid et polyamoureux.
Le faisceau de questions soulevées par Le Futur Futur ne cesse à la fois de s’élargir et de se rétrécir. Adam Thirlwell semble un temps se prêter à la riche tendance du roman historique qui traverse depuis quelques années la littérature anglo-saxonne (on pense à la farce noire d’Ottessa Moshfegh Lapvona, au Matrix de Lauren Groff, au Portrait de mariage de Maggie O’Farrell ou, dernièrement, à la très contemporaine Imposture de Zadie Smith). Mais ce voyage dans le temps se caractérise par une instabilité vertigineuse, où les anachronismes sont comme autant de bugs dans la matrice, figurant dans le corps même du texte la présence simultanée de toutes les temporalités, celle de Céline, de sa fille, la nôtre, et invitant au banquet sans distinction aucune Napoléon, Beaumarchais, Toussaint Louverture et George Washington, comme si l’Amérique était de l’autre côté de la rue. Alors que les années s’écoulent par à-coups, l’étau se resserre autour de Céline, d’abord victime de la vindicte des hommes, avant de se retrouver proie de l’homme ultime, le dictateur absolu, contre lequel elle mobilisera tout ce qu’elle a acquis au fil de son voyage dans l’espace et dans le temps.
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