Alexandra Schwartzbrod: «Rétrospectivement, je vois combien c’est difficile d’être une femme de 30 ans et faire face à toutes ces injonctions»

© Pierre Toupart
Philippe Manche Journaliste

Directrice adjointe de Libération, autrice et essayiste, Alexandra Schwartzbrod se livre dans l’intime et passionnant Éclats, récit autobiographique à portée universelle.

Fine plume de la presse hexagonale, Alexandra Schwartzbrod propose avec Éclatspour « éclats de rire, éclats de lumière, éclats de vie ou éclats d’obus » parce qu’elle a travaillé dans le secteur de l’armement- un texte autobiographique qui ne pouvait qu’être honnête, sans filtre ou presque mais aussi drôle, puissant et touchant. Une vie de roman, ou pas loin, parsemée de photos de famille, racontée par l’écriture vive et alerte de l’autrice, habitée par un optimisme salutaire. Avec, entre autres gros morceaux, son départ à Jérusalem comme correspondante de Libération et la couverture de la deuxième Intifada.

Comment comparez votre travail d’écriture sur ce récit autobiographique et forcément personnel qu’est Éclats et votre trilogie noire achevée par Les Lumières de Tel-Aviv et emmenée par ce flic arabe israélien Eli Bishara?

Alexandra Schwartzbrod: J’aime raconter des histoires et quelque part, je raconte des histoires en écrivant aussi ce texte. Je pense qu’il y a un rapport quand je parle de Jérusalem dans Éclats parce que j’y puise quelques passages tirés de la réalité que j’avais déjà racontés sous forme de fiction dans la trilogie. Avec Éclats, j’ai fait l’inverse. J’ai puisé dans ce que j’avais transformé en fiction pour le ramener à la réalité.

« Dans les locaux historiques de Libé, rue Béranger, en 2015, autour de la table dite de Jean-Paul Sartre qui nous suit à chaque déménagement. » © AFP

Est-ce que votre appétence pour le polar et la littérature noire, que vous suivez à travers des chroniques et interviews dans les pages de Libération vous aide, vous aussi, à comprendre le monde et surtout ce que le genre nous dit sur nos sociétés?

Alexandra Schwartzbrod: Le polar est une façon de découvrir le monde et de décrypter toutes ces sociétés qui se déchirent à travers leurs inégalités, injustices, drames et il aide à comprendre toutes les crises. Ce n’est pas pour rien que Manchette a dit que le polar est le roman de la crise. Avec Le Silence, Dennis Lehane raconte comment vous devenez raciste sans vous en rendre compte juste par mimétisme au sein de votre communauté et c’est universel. Les Visages écrasés de Marin Ledun est un livre majeur sur la violence au travail. Le polar permet aussi de découvrir le monde et tous ses travers si je pense à l’autrice indienne Kishwar Desai. À travers la voix de son héroïne, assistante sociale, elle raconte comment les femmes sont traitées en Inde et le scandale que ça représente; et vous comprenez mieux qu’à la lecture d’un rapport de l’ONU.

Bien qu’il ne soit pas un polar, Éclats nous aide aussi à comprendre les différentes époques que vous traversez. Notamment lorsque vous évoquez votre passage professionnel dans le milieu de l’armement où vous dites que même si vous aimez les hommes, vous avez aussi cédé parce que c’était comme ça. Rétrospectivement, et depuis la vague #MeToo, quel regard la femme libre a-t-elle sur ces moments-là?

Alexandra Schwartzbrod: #MeToo m’a fait prendre conscience de tout ce que j’avais accepté sans le savoir et que je n’aurais jamais dû accepter à l’époque. J’ai toujours adoré les hommes, j’ai toujours aimé les hommes, j’ai toujours aimé les séduire. C’est vrai que parfois, j’ai cédé à des hommes qui me dégoûtaient un peu pour ne pas leur déplaire et c’est ce que je pensais. Avec #MeToo, j’ai réalisé qu’une femme n’a pas à céder pour faire de la peine à un homme. Ce n’est pas normal. Je venais d’un milieu où une femme faisait tout pour faire plaisir à un homme, pour le satisfaire. Ça me semblait normal quand j’avais 20 ans, mais aujourd’hui je ne céderais plus.

Ce qui ressort aussi d’Éclats, c’est que de par votre métier, votre histoire familiale et personnelle côtoie une autre histoire, la grande, celle avec un grand H…

Alexandra Schwartzbrod: C’est le propre de tous les journalistes. À partir du moment où on commence à couvrir l’actualité, les guerres, des soubresauts politiques, alors forcément, on couvre la grande Histoire. C’est ça qui est extraordinaire parce qu’on a la chance à Libération d’assister en direct à l’Histoire en marche. La deuxième intifada, c’est pareil. J’avais vraiment l’impression d’assister à un moment historique alors que je devais couvrir un autre moment historique à savoir la création d’un État palestinien. Le jour où l’intifada a éclaté, je me souviens très bien avec qui j’ai mangé, de ce que j’ai mangé, de l’homme que j’aimais à cette époque et tout s’entremêle et c’est un peu ça que j’ai voulu raconter aussi. Comment l’intime s’entremêle au professionnel et à la vie publique.

”Croire en la paix est le plus vibrant des actes politiques”, écrivez-vous à la quasi toute fin…

Alexandra Schwartzbrod: C’est comme être optimiste aujourd’hui. On n’a pas le droit de sombrer sinon on n’y arrivera pas. Il faut continuer à y croire. Que c’est possible de ne pas avoir l’extrême droite au pouvoir. Que c’est possible de notre vivant de voir une paix au Proche-Orient et un État palestinien naître à côté d’un État israélien. On n’a pas le choix.

Qu’est-ce que vous vous êtes dit après avoir relu le manuscrit au terme de ce voyage introspectif?

Alexandra Schwartzbrod: Il m’a fait du bien ce livre. Je me suis dit que si je dois mourir demain d’un cancer fulgurant ou glisser sous un autobus, j’aurais eu une belle vie. Une vie riche et c’est chouette. Ça m’a fait beaucoup de bien de réaliser cela. Et de laisser une trace à mes enfants. Je pense que sa lecture peut aider, notamment auprès des jeunes femmes. Rétrospectivement, je vois combien c’est difficile d’être une femme de 20 ans voire de 30 ans et faire face à toutes ces injonctions. À 30 ans, tu n’as plus que 10 ans pour faire des enfants tout en réussissant ta vie professionnelle et rester séduisante. Tout ça, c’est vachement difficile et tu as peur de foirer, peur de ne pas arriver à faire des gamins, tu as peur de ne pas trouver le mec avec qui faire des gamins, peur de ne pas être à la hauteur dans ton boulot, peur de décevoir tes parents qui ont mis plein d’espoir en toi. Tu as peur de tout en fait. Je me souviens, j’avais peur de tout. Je me dis que ce récit peut aider les jeunes femmes, elles peuvent se dire qu’il faut saisir les opportunités qui passent et serrer les dents, parfois. Et peut-être ne pas trop réfléchir. à un moment, il faut foncer etsurtout ne pas avoir de regrets.

Éclats, d’Alexandra Schwartzbrod, éditions Mercure de France, 224 pages.

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