Léonie Bischoff, féministe mais pas que
La plus bruxelloise des autrices suisses adapte les récits de Camilla Läckberg et s’apprête à raconter Anaïs Nin, mais ne voudrait pas que son féminisme fasse (trop) d’ombre à la professionnelle qu’elle est. Aucun risque.
Son premier récit personnel, c’était en 2010, un combat de catch féminin (Princesse Duplex chez Manolosanctis). Le suivant (Hoodoo’ darlin’, chez KSTR), c’était l’histoire d’Adèle, une jeune sorcière black et vaudou plongée dans un monde moite et surnaturel. Un premier essai qui a convaincu Casterman de lui confier l’adaptation de trois romans de Camilla Läckberg, star absolue des polars nordiques -dont le troisième et dernier, Le Tailleur de pierre, vient de sortir. Et le prochain projet de Léonie Bischoff sera, lui, librement inspiré des journaux d’Anaïs Nin, sulfureuse écrivaine et première femme à avoir publié des romans érotiques sous son propre nom -« J’ai envie de parler d’elle depuis très longtemps. Je l’ai découverte à l’adolescence, son personnage m’a tout de suite parlé: une femme qui essaye d’être créatrice dans une époque où c’était peu le cas, ses conflits entre son désir d’être une vraie créatrice et la position de femme dans les années 20, ça m’intéresse!« . De là à qualifier cette trentenaire suisse, installée à Bruxelles depuis ses études à Saint-Luc, d’auteure féministe et engagée, telle Catel, il y a un pas qu’on ne franchira pas tout à fait, comme elle: « Il y a des thèmes féministes qui traversent tous mes bouquins parce que c’est un combat de tous les jours, pour moi comme pour toutes les autres femmes. Mais le challenge consiste d’abord à raconter convenablement de bonnes histoires! C’est un fil rouge involontaire, guidé par d’autres thèmes comme la passation de pouvoir, la maturité ou cette notion de liberté individuelle qui m’intéresse beaucoup et qui ne se limite pas au seul féminisme. J’écris et je fais évoluer des personnages féminins parce que c’est plus simple et plus naturel pour la femme que je suis. Or, la normalité c’est encore pour beaucoup la masculinité, et ça ne devrait plus être le cas quand on sait que les lecteurs sont surtout des lectrices et qu’il y a de plus en plus d’auteures. Quand j’ai fait Saint-Luc, au début des années 2000, on était 5 filles sur 50 étudiants; maintenant elles sont majoritaires. » Comment l’auteure qu’elle est devenue explique-t-elle cette évolution ? « Internet y est sans doute pour beaucoup, la passion du dessin s’y exprime très librement. Moi qui ai grandi dans les années 80, il était très rare que je puisse m’identifier à des personnages de BD: dans Les Schtroumpfs , il n’y avait qu’une fille et elle était vraiment con-con; dans Boule & Bill , il n’y a qu’une mère, toujours dans sa cuisine… Les choses ont changé, mais il reste évidemment beaucoup de combats à mener: dans les magazines sur la bande dessinée, je crois qu’il y a quelque chose comme 4 % des articles consacrés aux auteures, alors que nous représentons désormais 30 % de la profession. Même chose sur les festivals, où nous sommes sous-représentées. Mais quand je dis ça, je parle au nom du « Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme », dont je suis membre. » Féministe, donc. Mais pas que.
Ni underground, ni mainstream
Si Léonie Bischoff a débarqué presque par hasard à Saint-Luc et à Bruxelles (« c’est une amie de ma mère qui en avait entendu parler. Moi, il ne m’était même pas venu à l’esprit qu’une véritable école de BD puisse exister!« ), le dessin occupait sa vie genevoise depuis déjà longtemps: « Je viens d’une famille où on a toujours beaucoup dessiné: mon arrière-grand-mère était peintre sur émail, elle faisait des miniatures napoléoniennes sur des fonds de montre; mon arrière-grand-père restaurait des tableaux et moi, dès 13 ans, je faisais des fan arts abominables du Dracula de Coppola à coup d’arrêts sur images et j’étais obsédée par les bouquins de Bourgeon. En début de chapitre de ses Compagnons du crépuscule , il y avait comme de petits médaillons avec des dessins médiévaux. Je ne sais pas combien de fois j’ai essayé de redessiner ce truc, mais ça me plaisait beaucoup et je voyais avec un peu de fierté que j’étais meilleure que les autres. Ce qui ne m’empêchait pas de chialer sur mes dessins! Mais je m’acharnais. » Un acharnement qui lui fait dire qu’elle est « parfois trop académique, trop bon élève. J’ai toujours été comme ça, mais je lutte! Je n’ai jamais été première de classe, je galérais même, mais j’ai toujours eu ce côté de vouloir bien faire les choses. » Et c’est pourtant cet acharnement qui lui a ouvert les portes de Casterman, rapidement séduit par sa capacité à s’adapter aux projets proposés et aux changements d’univers, au point de confier en 2013 à cette quasi inconnue l’adaptation des romans de Läckberg, à haut potentiel de ventes. Un risque qui n’en était finalement pas un, à voir la maîtrise avec laquelle l’auteure s’est mise au service de l’histoire et de son scénariste chargé de l’adaptation, Olivier Bocquet. Et s’il a fallu trois ans pour que ce troisième et dernier opus voit enfin le jour, après des mois de retard dus à de nombreux changements de coloriste (une temporisation qui lui a permis de réaliser au Lombard un volume de La Petite Bédéthèque des Savoirs, consacré rien de moins qu’à la Bible), le résultat ne laisse plus planer aucun doute: Léonie Bischoff fait désormais partie des auteurs, tous genres confondus, sur qui il faudra (beaucoup) compter dans les années qui viennent.
Le Tailleur de pierre, de Olivier Bocquet et Léonie Bischoff, d’après Camilla Läckberg, Éditions Casterman, 128 pages. ***(*)
La Petite Bédéthèque des Savoirs, T23: Naissance de la Bible, de Thomas Römer et Léonie Bischoff, Éditions Le Lombard, 80 pages. ****
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