Le théâtre révise ses classiques

Avec Vania!, Christophe Sermet donnait en 2016 un coup de frais à l'œuvre de Tchekhov plus que centenaire. © Marc Debelle

Sur les planches, les écritures contemporaines côtoient les classiques revisités. Un signe que les grands textes ne meurent jamais.

On ne compte plus les Tchekhov, Shakespeare ou Ibsen adaptés. Comme Hedda, mise en scène d’Aurore Fattier l’an dernier au National, ou en ce mois d’avril, Le Silence, inspiré d’Ingmar Bergman, au Théâtre de Liège. Thibaut Wenger avait lui adapté en mars dernier un Ibsen, Un ennemi du peuple, au Théâtre Océan Nord. Actuellement, Ariodante, opéra baroque et oublié de Haendel, se revisite à l’Opéra de Paris, avec une femme (mezzo-soprane) dans un rôle d’homme (contre-ténor). Anodin? Pas certain. On a demandé au metteur en scène Christophe Sermet, qui excelle dans l’exercice, et Jonathan Châtel, adaptateur d’auteurs nordiques et professeur au Centre d’études théâtrales de l’UCLouvain, de décrypter cette mode des classiques revus et corrigés. Parfois réussis, parfois, ratés.

Inconscient collectif

Face à nous, Christophe Sermet. Il n’a pas eu les subsides escomptés pour sa prochaine création des Trois sœurs, aux Martyrs en janvier 2024. Mais il la montera quand même et continuera à créer, recréer. Hamlet, par exemple, la saison suivante, au National. À la question pourquoi réinventer les classiques -une apparente gageure, comprend-on, pour récolter des subsides-, il répond, franc et direct: “Parce que je n’ai pas l’impression que les textes actuels aient tant de choses à dire. En tout cas, les très bons sont déjà pris. Les histoires anciennes interagissent avec notre époque. En traversant le temps, c’est comme si elles ramassaient des choses, se chargeaient d’histoires. Il y a cette part d’inconscient collectif indispensable. Peut-être que le spectateur lambda ne connaîtra pas l’histoire intime du texte, mais ça évoquera chez lui quelque chose de profondément ancré. Adapter, c’est un geste artistique. D’ailleurs, adapter, je ne le fais pas par défaut, je le fais parce que c’est retourner là où l’Histoire du théâtre, et l’Histoire de l’humanité, sont passées. Les mythes qui nous constituent sont indispensables, on est pétris de ça.” Ses trois sœurs, ce seront d’encore jeunes femmes, confrontées à une garnison de soldats inactifs dans un no man’s land. La guerre, l’amour, la désillusion, dans une ville qui pourrait être Bruxelles, Saïgon, Ouagadougou ou Sarajevo. Des thèmes universels.

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Jonathan Châtel ne dit rien d’autre quand il analyse sa façon de reprendre les classiques, ainsi que celle qu’ont ses pairs de le faire. Franco-Norvégien, il lit Ibsen dans le texte et comprend les mots de Strindberg. “C’est une langue directe, beaucoup moins ampoulée que ce que les traductions nous font comprendre. Les bourgeois chez Ibsen, c’était des gens de la campagne, ils avaient un rapport plus direct aux choses que ce qu’on tente de nous faire croire dans les analyses actuelles. C’est pareil pour Shakespeare. On vénère aujourd’hui l’objet livre, mais la plupart des représentations à l’époque étaient des canevas sur lesquels les acteurs improvisaient.

Pour l’enseignant et metteur en scène, il y a dans les classiques la possibilité franche d’un éclairage sur notre présent, sur les questions qui nous rongent, quand on prend le temps de les relire, de trouver la bonne traduction et d’en tirer la substantifique moelle. D’ailleurs, il rejoint Christophe Sermet quand il parle de l’adaptation comme d’un acte artistique pur. Sermet travaille directement avec une traductrice, pour le russe notamment. “Elle me dit les phrases comme elle les lit. Ça peut paraître moche, sauf que ça donne le sens premier. Il y a plusieurs façons d’adapter: traduire, c’est trahir. Il faut choisir sa trahison. On met ses pas dans ceux d’un autre, donc forcément, parfois, on déforme. Mais on essaie d’être au plus proche.” Donc, d’en revenir au texte.

Déconstruction

Parler nouveau avec de l’ancien, plusieurs s’y confrontent, malaxant, dédaignant, recréant. C’est le cas d’Angélica Liddell. L’artiste espagnole performe sa féminité et ses douleurs dans des ré-interprétations de classiques. “En 2013, elle a revisité Peter Pan, pour réfléchir à sa propre inadéquation face au monde, nous explique Jonathan Châtel. Elle parlait du personnage de Wendy, phagocytée par le monde adulte. C’était puissant de féminisme, et ça interroge aussi le regard de l’auteur lui-même. L’adaptation de Liddell est en fait une déconstruction. La lecture qu’on peut faire du texte de J. M. Barrie (auteur de Peter Pan, NDLR), c’est celle de la cruauté. Il avait un rapport particulier aux enfants. Wendy est empêchée de grandir, par le regard que lui portent ses parents. Il y a dans ce genre d’adaptation que livre Liddell l’importance, essentielle, de souligner la charge destructrice des classiques. Antoine Vitez disait de l’adaptation des classiques que c’était “comme ressortir des galions de l’eau”. Les galions sont devenus des épaves. Des ruines. Mais cette déconstruction peut être belle, si on reconstruit sur les failles.

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Si on en tire l’urgence de dire, et qu’on en fait quelque chose, surtout. Disant ceci, Châtel, comme Sermet, insiste par ailleurs sur l’essentielle poétique du théâtre. L’adaptation comme relecture esthétique de la scène, et des scènes. Des discours militants existent, et ont existé, de tout temps, mais ils ne sont plus forts s’ils ne sont que militants et pas poétiques. Ce qu’on a peut-être oublié de demander aux artistes, c’est si reprendre un classique, tel quel et dans son jus, perruques et verbe haut, peut être intéressant. On se contentera de l’impressionnant aria d’Ariodante, femme dans un rôle d’homme, ovationnée en ce moment à Paris, pour poser un début de réponse.

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