Le monde était au Guess Who?, festival explorateur

Le Guess Who?, un festival qui met les musiques obscures en lumière... © Maarten Mooijman © Maarten Mooijman
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Cette année, le Guess Who?, le festival le plus exigeant et bourlingueur d’Europe s’est fait encore plus explorateur que d’accoutumée. Tour d’Utrecht à vélo et du monde en musique.

Depuis qu’on a pris le pli il y a une petite dizaine d’années d’aller se promener à la mi-novembre à Utrecht pour le Guess Who?, on s’est familiarisé à sa conception du voyage. Un voyage mélomane, culturel et forcément humain aux tréfonds les plus excitants et aux marges les plus inattendues de la musique moderne. Annulé il y a deux ans, repensé l’an dernier plusieurs fois jusqu’en cours de route, le festival de musiques pointues et plurielles a beaucoup évolué depuis sa création. Redéfinissant ses priorités, ses goûts, sa programmation au fil de ses envies et de ses obsessions. Il y a déjà eu beaucoup plus de guitares et de rock au Guess Who? et on y a toujours eu les yeux et les oreilles ouvertes sur l’ailleurs. Mais plus que jamais, l’événement se la jouait cette année particulièrement globe-trotteur.En me promenant ici, je me rends compte de tout l’intérêt, l’amour, la passion que je porte aux musiques traditionnelles”, confiait un festivalier entre deux coups de pédales (il faut un vélo au Guess Who? pour papillonner autour de son centre névralgique: l’immense complexe de verre du Tivoli). Sans doute quelque part une réaction viscérale au rôle et à l’importance déterminantes qu’exercent ces musiques dans la vie des gens.

The Master Musicians of Jajouka led by Bachir Attar
The Master Musicians of Jajouka led by Bachir Attar © cherie nutting

Avec Vertigo Days (sans doute leur meilleur album à ce jour) sous le bras, les Allemands de The Notwist ont livré l’un des plus beaux concerts du week-end. Les Suédois de Goat se sont rappelés à notre bon souvenir (non non, rien n’a changé…). Idris Ackamoor et ses Pyramids ont fêté relativement sagement mais avec un plaisir communicatif leurs 50 ans. Il y avait aussi beaucoup de femmes sur scène à Utrecht cette année. Peut-être même autant que d’hommes. Sans jamais donner l’impression de venir faire de la figuration ou du remplissage. La jeune Texanne Liv.e entourée d’un band a livré une prestation bluffante entre hip-hop, soul et r’n’b. Charlotte Adigéry et Bolis Pupul ont fait un carton (même quand elle chantait en français). Le concert de Cate Le Bon ressemblait à une consécration. Et Alison Cotton a emmené en lévitation avec son folk expérimental.

On pourrait s’appesantir sur le kraut rock convaincant et entraînant des Néerlandais de Pnem, raconter comment les Slovènes de Sirom nous ont emmenés loin avec leurs morceaux d’un quart d’heure ou comment Horse Lords a donné envie d’acheter son nouvel album, Comradely Objects. On terminera plutôt, avant la grande expédition, par l’histoire d’Animal Collective. Curateurs d’une partie du festival, les Américains n’étaient finalement pas à l’affiche. Ils ont décidé d’annuler leur tournée à cause de l’inflation et d’une réalité économique désastreuse. Noah “Panda Bear” Lennox, qui habite au Portugal depuis des années, est cependant venu en compagnie d’une autre légende du psychédélisme, Peter “Sonic Boom” Kember (Spectrum, ex-Spacemen 3). Ensemble, derrière des machines, ils ont défendu Reset, leur odyssée pop commune de Beach Boys 2.0. En route…

The Master Musicians of Jajouka led by Bachir Attar

Ils ont fasciné la Beat Generation dans les années 50. Williams Burroughs et Timothy Leary les avaient baptisés “le groupe de rock de 4 000 ans”. Le guitariste des Rolling Stones Brian Jones leur a rendu visite à plusieurs reprises et fut même le premier musicien occidental à enregistrer avec eux (c’était en 1968). Ornette Coleman les a invités sur son album Dancing in Your Head. Et Billy Corgan les a suivis pendant une semaine. Les Maîtres Musiciens qui se sont scindés durant les nineties en deux factions défendent une tradition centenaire. Djellabas vertes et turbans… Emmenés par Bachir Attar, dont le père officiait à la tête de l’orchestre durant les sixties, les sept Masters Musicians of Jajouka (le nom d’un village dans les montagnes où l’autre partie du collectif organise un festival annuel limité à 50 invités) ont mis en transe avec leur musique traditionnelle mystique et tripante.

Oki

Oki
Oki © getty images

Musicien japonais issu de l’ethnie indigène animiste des Aïnous et fils d’un célèbre sculpteur, Oki Kano est un maître du tonkori. L’un des derniers sur Terre même à manier cette harpe à trois, cinq ou six cordes typique de sa communauté. Pour faire bref, le tonkori doit être taillé dans une pièce de bois unique, généralement de l’épicéa ou de l’if. L’artisan qui le façonne place en son cœur un caillou qui accueille l’âme de l’instrument. Sa forme symbolise une silhouette de femme. Ses parties son nommées d’après celles du corps féminin. Et ses cordes sont tressées à l’aide d’une variété d’orties locale ou de boyaux d’animaux… Étudiant aux Beaux-Arts de Tokyo parti à New York en 1987, Oki a travaillé dans les effets spéciaux avant de retourner s’installer sur l’île paternelle en 1992. Il utilise son art pour exposer sa culture. Et le fait en costume traditionnel et en famille, notamment flanqué de sa femme et de son fils. Le dernier album du sexagénaire, Tonkori in the Moolinght, est sorti en février dernier. Ensorcelant.

Noori & His Dorpa Band

Noori & His Dorpa Band
Noori & His Dorpa Band © dr

Au début des années 90, Noori élaborait un instrument unique en combinant le manche d’une guitare (rare à l’époque au Soudan) avec un kissar, un instrument traditionnel à quatre cordes des années 70 que lui avait offert son père, un instrumentiste de renom. Noori et son Dorpa Band défendent la culture beja, presque totalement étouffée sous le régime d’Omar el-Béchir pendant plus de 30 ans. Si une campagne étatique a été menée pour interdire leur langue et les a réduits à des conditions de vie honteuses, c’est pour les faire disparaître, eux et leur identité. Les Bejas occupent des terres où se trouvent d’énormes gisements d’or vendus à des entreprises étrangères… Un peu proprette, leur musique n’en est pas moins remuante et obsédante. Leur album Beja Power! a été pensé comme le manifeste d’un peuple qui se bat pour sa survie.

Otim Alpha

Otim Alpha
Otim Alpha © denholm helwett

Il était censé se produire au festival de Dour en 2020. Otim Alpha a été fermier et boxeur avant d’affoler les dancefloors et de devenir le père de l’acholitronix, un genre musical ougandais qui marie les beats électro aux sonorités traditionnelles acholi (le peuple de Geoffrey Oryema). Révélé par Nyege Nyege avant d’être signé par le label qui défriche les musiques club d’Afrique de l’Est (Hakuna Kulala), Otim Alpha a fait son écolage dans les mariages avant de prendre d’assaut les scènes européennes. Avec son collègue DJ et ses plumes blanches sur la tête, il réinvente la musique d’un pays profondément marqué par des années de crise, de guerre et de sida. Danse, transe et tradition…

Fulu Miziki Kolektiv

Fulu Miziki Kolektiv
Fulu Miziki Kolektiv © dr

Afro-disco-house? Punk du soleil? Futurisme artisanal? Musique des déchets? Originaire de la République démocratique du Congo, Fulu Miziki fabrique ses chansons avec du matériel de récupération prélevé dans les rues anarchiques de Kinshasa. “Depuis que je fouille les poubelles en ville, tout le monde pense que je suis fou, ensorcelé et que je ne sais pas ce que je fais. Même les musiciens ont fui au début, racontait il y a quelques années Pisko (pour Piskopathe…) dans les colonnes du recommandable magazine en ligne Pan African Music. Ces super-héros du futur africain planqués sous des costumes et des masques mi-tribaux mi-spatiaux, utilisent des instruments encombrants de leur invention: l’Ouragan, un grand gong en acier, le milofo, deux longs tubes joués de préférence avec des tongs cassées, le papa fulu, une traction à poulie rouillée léguée par leur voisin mécanicien, ou encore le Sékébien, une batterie écoresponsable en bidons d’huile recyclés. Bougez, bougez. Dansez, dansez. Poubelle la vie…

Mary Ocher

Mary Ocher
Mary Ocher © getty images

Chevelure blonde abondante, grandes lunettes. Mariya Ocheretianskaya est une artiste israélienne d’origine russe. Née le 10 novembre 1986 à Moscou, enfant unique d’un marionnettiste, elle a vécu dans un kibboutz, puis à Tel-Aviv, a étudié l’art et le cinéma avant de partir tenter sa chance à Berlin avec son groupe: Mary and the Baby Cheeses. Mariya a collaboré avec King Khan, qui l’avait découverte dans un bar à karaoké, mais aussi avec Hans Joachim Irmler du mythique groupe de krautrock Faust. Touche-à-tout, elle est à la fois singer-songwriteuse, performeuse, poète, réalisatrice et a sorti récemment un comic book autobiographique (Moop) illustré par 23 artistes internationaux. Non dénuée d’humour, Mary, seule en scène, prend un malin et indéniable plaisir à jouer avec les genres musicaux et à passer du piano à la guitare. Elle se revendique autant de Nina Hagen que de Buffy Sainte-Marie ou de Lydia Lunch. Une merveille.

Vincent Moon’s Live Cinema

Il a beau avoir un nom de scène lunaire, Vincent Moon n’était pas l’artiste du Guess Who? venu des horizons les plus lointains. Né en 1979 à Paris, Mathieu Saura est l’un des talentueux et dynamiques réalisateurs qui se cachaient il y a une quinzaine d’années derrière la Blogothèque et ses irrésistibles Concerts à emporter tournés dans des endroits décalés. Très vite, Moon a pris la tangente, en lançant le label nomade Petites Planètes. Il s’est ainsi mis à explorer en profondeur et à filmer la musique traditionnelle, les rituels religieux et la transe aux quatre coins du globe. Puis plus spécifiquement le renouveau du sacré. Non sans rappeler le travail passionnant d’un Chassol, son Live Cinema est une performance mêlant cinéma monté en direct, musique sur scène et dans des films projetés. Le tout en quête d’un cinéma ritualiste et poétique. Une expérience singulière avec un guide hors du commun.

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