Lætitia Dosch dans Passion Simple: « le féminisme, aujourd’hui, a plus à voir avec le fait d’être une femme indépendante »

Lætitia Dosch et Sergei Polunin: l'emprise de la passion.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Adapté du roman éponyme d’Annie Ernaux, Passion simple voit Danielle Arbid s’insinuer au coeur d’une relation passionnelle. Un film que Lætitia Dosch illumine de sa présence incandescente. Rencontre avec une comédienne évoluant en toute liberté.

Révélée en 2013 par La Bataille de Solférino, de Justine Triet, où elle campait une journaliste télé couvrant la présidentielle française quand son ex (l’inénarrable Vincent Macaigne) venait lui pourrir l’existence, Lætitia Dosch, s’est imposée depuis dans les registres les plus divers, au théâtre comme au cinéma d’ailleurs. Autrice-interprète des spectacles Lætitia fait péter ou Hate notamment, l’actrice franco-suisse s’est également multipliée devant la caméra de Guillaume Senez (elle était de Keeperavant de le retrouver pour Nos batailles), Catherine Corsini (La Belle Saison) ou Christophe Honoré (Les Malheurs de Sophie), avant que Léonor Serraille ne l’impose définitivement dans le bien-nommé Jeune femme. On la retrouve aujourd’hui dans Passion simple, de Danielle Arbid, adaptation du roman éponyme d’Annie Ernaux où elle campe Hélène, une femme se consumant dans une relation passionnelle. Un rôle où elle donne la pleine mesure d’un talent qu’elle a généreux, et qu’elle a endossé avec un plaisir d’autant plus manifeste peut-être que l’oeuvre de l’écrivaine lui était familière. « J’avais lu pas mal de ses livres. C’est une auteure très forte, pour laquelle j’ai beaucoup d’admiration, elle est très importante pour moi, même si je trouve qu’il ne faut pas la lire trop souvent parce que moi, ça me trouble beaucoup. J’ai lu ses livres autour du féminin: L’Événement, La Femme gelée, Mémoire de fille et Passion simple, bien sûr. Et après, j’ai lu Les Années. Je trouve très beau à quel point elle arrive à parler de choses intimes d’une manière si distante. »

Ainsi donc de Passion simple, l’inventaire d’une passion amoureuse placée sous le signe du désir, mais aussi de l’attente et du manque, un récit trouvant devant la caméra de Danielle Arbid une expression à la fois fidèle et personnelle. « En lisant le scénario, j’ai vu ce qu’elle avait rajouté, c’est-à-dire les scènes d’amour qui ne figurent pas dans le livre, et j’ai été surprise de voir à quel point elle arrivait à le prolonger, même si ça restait le livre par la précision du regard. Ces scènes ne sont pas dans le bouquin, mais elles sont sûrement présentes dans la vie, sans quoi il n’aurait pas été écrit. Chacune d’entre elles était différente, et racontait quelque chose de la relation à ce moment-là. Si bien qu’Annie Ernaux aurait peut-être pu les écrire. » Une écrivaine que Lætitia Dosch a rencontrée, mais pas pour l’interpréter, précise-t-elle aussitôt- « Elle est venue voir un spectacle que j’avais écrit, et puis, je l’ai rencontrée à travers son écriture, dans le sens où elle était là tout le temps: j’ai pris des extraits du livre, que je mettais à côté des scènes en me disant: « là, je vais jouer ça… » Elle était présente comme directrice d’actrice, en fait, comme Danielle. C’était un film à trois. »

Lætitia Dosch dans Passion Simple:

Un autre féminisme

Danielle Arbid confie volontiers avoir eu envie d’aller à contre-courant du « vent puritain américain qui souffle sur le cinéma européen et sur la société en général ». À l’opposé de cette tendance majoritaire, Passion simple se veut résolument charnel, osant des scènes de sexe comme un ballet des corps toujours réinventé. « Il n’y aurait eu qu’une scène d’amour, comme dans La Vie d’Adèle où il n’y en a qu’une dont on se souvient, ça aurait été différent, relève l’actrice. Mais là, il y en avait huit, et elles étaient toutes différentes, donc on rentrait dans la psyché des personnages, de ce qui se jouait, avec une précision par leur nombre qui faisait que ça devenait, non pas la scène d’amour du film, mais une vraie réflexion, avec des choses à dire sur chacune. Et ça, c’était important. Après, je n’ai pas forcément envie de refaire des scènes de nu, mais c’était intéressant de les faire de cette manière, avec Danielle et Sergei. Elles ont leur sens. »

Pour incarner Hélène, Lætitia Dosch raconte encore s’être sentie guidée, le scénario combiné au livre lui donnant comme un mode d’emploi afin de réveiller des sentiments qu’il lui a fallu faire revenir. Le personnage, une prof de lettres dans une fac parisienne que sa rencontre avec un membre du personnel diplomatique russe va conduire à se consumer sous l’emprise de la passion, se révèle fascinant à maints égards. Et notamment parce que c’est dans la soumission volontaire qu’elle va arriver à se libérer. « Je suis tout à fait d’accord. On voit un peu sa vie d’avant, dont on peut supposer qu’elle ne marchait plus depuis un petit moment, et on imagine que cette histoire l’aide aussi à se construire loin de celle d’avant. C’est une femme qui, intellectuellement et socialement, est assez respectée et dans une position de force. Que ça lui arrive à elle est important, parce que ça parle justement du féminin et du féminisme. J’ai l’impression, dans ce que j’entends et dans ce que je vois, que le féminisme, aujourd’hui, a plus à voir avec le fait d’être une femme indépendante, qui assure toute seule et existe par elle-même. Qu’une femme qui a déjà tout ça ait besoin de vivre cette histoire qui la déstabilise et n’ait pas peur de la vivre, c’est quelque chose, je trouve. Après, ça aurait aussi pu être un homme. »

Que le film de Danielle Arbid porte sur la passion amoureuse un regard féminin n’est bien sûr pas anodin. Pas plus qu’on ne verra une coïncidence dans le fait que les trois films constituant les jalons essentiels du parcours de Lætitia Dosch, La Bataille de Solférino, Jeune femme et Passion simple donc, aient été tournés par des réalisatrices. « Ces films-là parlent du féminin, c’est sûr, et en proposent trois visions différentes. Ce qui est cool, c’est qu’elles aient toutes les trois fait appel à moi, je considère ça comme une grande chance. Et ce qui est marrant, c’est que ce sont des personnages fort différents, qui ne se calculeraient pas forcément dans la vie. Elles n’en auraient rien à foutre l’une de l’autre, elles sont dans trois trips différents, et ça constitue une richesse. Je trouve très important de me questionner sur la représentation de la femme et d’en donner des visions complexes, et ces trois visions le sont. Le fait que ce soient des réalisatrices? Peut-être que Bergman avait une vision très complexe de la femme, et que Guillaume Senez peut en avoir une aussi, même si ses personnages, pour l’instant, étaient principalement masculins. Mais il y a en tout cas chez ces trois réalisatrices une volonté de déconstruire une image de la femme. »

La passion selon Danielle Arbid

Entre Danielle Arbid, la réalisatrice d’Un homme perdu et de Peur de rien parmi d’autres, et Passion simple, le roman d’Annie Ernaux s’insinuant au coeur d’une passion amoureuse, il y avait comme une évidence: « Une histoire d’amour m’avait fait lire ce livre il y a des années de cela. Et depuis, il est toujours resté pas loin: sur ma table de chevet, dans ma poche, je l’offrais à des amis qui tombaient amoureux… », raconte-t-elle. De ce court roman, elle confie toutefois qu’il lui avait longtemps paru inadaptable – « c’est quand même un rapport sur une histoire d’amour ». Pourtant, lorsqu’un producteur l’approche pour lui proposer de raconter une histoire d’amour charnelle, le choix s’impose: « Des livres qui racontent l’amour et le sexe en même temps, il n’y en a pas tant que ça. Ce sont soit des histoires d’amour désincarnées, ou ils sont orientés vers l’infidélité, l’adultère, un truc un peu social, ou ils sont racontés de manière détachée du couple. Ou alors ce sont des histoires très sadiennes, où il s’agit d’expérimenter le sexe, ce dont je ne voulais pas non plus. C’est simple, pourtant, tout le monde peut vivre cette histoire d’amour charnelle, on passe par là quand on vit une histoire d’amour. Mais c’est drôle, il n’y a pas beaucoup de gens qui la racontent, et ce livre en racontait la pureté. »

Un appartement à meubler

« À partir du mois de septembre de l’année dernière, je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme… »: sa voix off d’ouverture, le film de Danielle Arbid l’emprunte au roman. Mais si l’adaptation est fidèle, la réalisatrice a dû néanmoins donner chair à un récit tenant dans 77 petites pages: « Je l’ai considéré comme un magnifique appartement vide que j’allais remeubler, relève-t-elle. J’ai inventé un enfant à Hélène, et j’ai aussi voulu le situer aujourd’hui. Parce qu’il a été écrit en 1990, le livre raconte l’histoire de cette femme qui se met à côté de son téléphone, ne sort pas beaucoup et devient obsédée par cet homme. Je me suis dit qu’avec le téléphone portable, elle pouvait voyager dans le monde entier et l’attendre, ça changeait le rapport. Visuellement, je tenais à la situer aujourd’hui et pas à l’enfermer dans ces années, comme si c’était une histoire exotique ne pouvant se passer qu’en 90. Pour moi, cette histoire peut se passer n’importe quand, n’importe où et, j’espère bien, dans 100, 500 ou 1 000 ans. »

Quant à traduire la passion amoureuse à l’écran? « Comment raconter des sentiments? Moi, j’aime beaucoup ça, j’aime les films sensoriels. Après, il faut trouver des idées pour traduire le manque, l’attente. Au début, c’est un coup, une affaire détachée, et petit à petit, ça devient une histoire profondément sentimentale. À travers les scènes de sexe, on sent l’attachement et l’amour naître, et la passion, l’obsession, le manque, l’attente… Je les ai réfléchies et écrites de manière très précise, pour que le corps n’ait plus d’importance. Quand on est amoureux à ce point, le sexe n’est pas là, ce qui importe, c’est d’être enlacés, se regarder dans les yeux, se laisser aller complètement, ce n’est plus l’extase sexuelle. » Pour incarner le couple engagé dans cette relation, la cinéaste a fait appel à la comédienne Lætitia Dosch et au danseur étoile Sergei Polunin: « Dès que je les ai rencontrés, c’était une évidence, souligne celle qui voulait des comédiens à l’aise avec leur corps, mais pas que: J’ai eu en face des gens intellectuellement forts, avec qui je pouvais parler, qui peuvent être amis avant d’être acteurs. Leur pudeur n’est pas située sur leur corps mais à l’intérieur. Ce sont de vrais punks, et on pouvait faire quelque chose ensemble: à partir du moment où les scènes de sexe étaient très détaillées, écrites, ils n’ont pas peur. J’avais affaire à des gens courageux, comme Annie Ernaux. » Laquelle, à la découverte de Passion simple, lui a dit « s’être oubliée dans le film. » Pas le moindre des compliments…

Passion simple

« À partir du mois de septembre l’année dernière, je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme…« : adapté par Danielle Arbid du roman éponyme d’Annie Ernaux, Passion simple dévide le fil d’une relation passionnelle placée d’emblée par une voix off sous le signe de l’assuétude. Soit Hélène (Lætitia Dosch), prof de lettres en fac et mère divorcée d’un jeune garçon, que sa rencontre avec Alexandre (Sergei Polunin), un diplomate russe en poste à Paris, va faire vaciller. Et de s’abandonner sans restriction à cette passion amoureuse, quand bien même lui demeure opaque et insaisissable, gardant à leur relation un caractère exclusivement sexuel là où elle se laisse bientôt emporter par le tourbillon des sentiments, au risque de négliger tout le reste. Tenante d’un cinéma sensuel et charnel, Danielle Arbid s’insinue dans leur intimité, filmant le désir, l’obsession puis le manque en un ballet des corps que Lætitia Dosch et Sergei Polunin portent à incandescence, elle, extraordinaire, avec un luxe de nuances, lui, par une présence toute de physicalité. Si Passion simple est le récit d’une soumission univoque, c’est plus encore le portrait, particulièrement inspiré, d’une femme trouvant là l’élan de sa libération, l’actrice traduisant avec une rare intensité ce qu’Annie Ernaux formulait en ces termes:  » J’ai découvert de quoi on peut être capable, autant dire de tout« .

Drame de Danielle Arbid. Avec Lætitia Dosch, Sergei Polunin, Grégoire Colin. 1 h 39. Sortie: le 11/08. ****

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