Serge Coosemans

La prochaine révolution musicale? I had a dream…

Serge Coosemans Chroniqueur

À la prochaine révolution musicale, on retirera à l’ordinateur son rôle central dans la fabrication de la dance-music et on s’ouvrira largement aux influences venues d’ailleurs, estime Serge Coosemans, certes bien grippé mais pas si fiévreux que ça. Sortie de Route S04E20.

Au comptoir tout comme au micro des étudiants en journalisme qui m’interrogent parfois dans le cadre de leurs travaux de fin d’étude, la question refait régulièrement surface: la prochaine révolution musicale, c’est pour quand? Quand est-ce qu’on va enfin se ramasser sur le citron un gros chamboulement comparable à la naissance du rock & roll? Un tsunami culturel digne du disco, du punk, de l’aciiiid? Est-il d’ailleurs encore possible pour un genre musical de balayer les habitudes et les certitudes, d’influencer en profondeur la société, de carrément changer des vies? Certains -par exemple Simon Reynolds dans son fameux Retromania– en doutent. On aurait atteint le stade où toute innovation musicale semble impossible, ce qui n’est pas bien grave, vu que l’on peut très bien se contenter d’être bon dans un genre particulier sans chercher à en exploser les codes. Je vois les choses un peu différemment. Je crois qu’une révolution musicale démarre toujours dans les fêtes, les rues et les clubs, en dansant, et c’est bien pourquoi, si révolution musicale il doit encore y avoir, il faudra d’abord chambouler les habitudes et les recettes de la dance-music. Par exemple, on pourrait penser à retirer à l’ordinateur et aux synthés le rôle central qu’ils ont dans le processus de fabrication de la musique qui se danse. C’est la base de ma petite théorie: on avait la trompette, puis la guitare en bois, puis la guitare électrique, puis les synthés et les ordinateurs et donc, pour inventer le futur, il faudrait bazarder l’ordinateur.

À moins que, pour une fois, ce ne serait pas l’instrument qui changerait mais bien la façon d’en jouer, de s’en servir. Peut-être que pour faire bouger les choses, les pousser en avant, il faut dépasser l’approche disons « occidentale » de chipoter un ordinateur et apprendre à jouer du synthé d’une façon qui ne doive strictement rien à Kraftwerk. De temps à autre, dans les magazines et sur les blogs musicaux qui ne se contentent pas de faire la promotion de ce que sortent les maisons de disques locales et les multinationales survivantes, on tombe sur des articles qui parlent de ce qui se passe ailleurs; en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient. Là où on ne joue pas du synthé comme Kraftwerk, où les beats se programment en suivant une intuition différente de la nôtre. Bon nombre d’artistes déjà énormes au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie ne vendent pas ici, sont même totalement ignorés ici, alors qu’ils pourraient pourtant apporter un souffle neuf, des visions novatrices, une stratégie oblique, comme dirait l’autre. Voilà ce que je pense. Si il doit y avoir un grand chamboulement culturel à l’avenir, il sera marqué par une ouverture totale sur le monde, une perméabilité extrême rendue possible par la curiosité et Internet.

C’est bien sûr très utopique. Les actuelles crispations identitaires et le plastiquage en règle du multiculturalisme compliquent énormément ce genre de projet. En France, une mairie FN vient d’interdire un spectacle de danse du ventre au motif que nous sommes en Occident, ici, ma bonne dame, et il semble aussi très, très loin le temps où Cheb Mami, Cheb Khaled et Salif Keita avaient leurs entrées dans le Top-50 frenchie. Aujourd’hui, si un DJ passe un morceau aux sonorités arabisantes, c’est vu comme un message là où ça devrait juste faire danser et le propre d’un message, c’est de pouvoir être mal compris et interprété à toutes les sauces. Que tout cela se vive de façon beaucoup moins légère qu’il y a 25 ans n’est pas que la faute d’une société crispée et de plus en plus ouvertement raciste. L’étiquette « world music » a également causé beaucoup de dégâts au ping-pong international d’influences musicales, avec sa réputation de variétoche neuneue pour bouffeurs de quinoa. Faut aussi dire ce qui est: cette possible vague à venir n’a pas encore de figure marquante, ni même de morceau emblématique. On en est encore aux tâtonnements, aux maladresses. Acid Arab et Omar Souleyman, qui sont les plus dignes représentants du concept, ont beau être excellents sur scène, en studio, ils peuvent se montrer malhabiles et il leur manque toujours un incontestable chef d’oeuvre. Pire: on continue à mal les cerner, à les percevoir soit comme des chouchous de l’internationale hipster, soit comme des types coupables d’importer la techno dans la world music, ô sacrilège ultime!

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Que cela soit clair, cette éventuelle prochaine révolution musicale que j’appelle de mes voeux n’a rien à voir avec la world music, la sono mondiale, l’esprit Couleur Café. Depuis une dizaine d’années, les Anglais ont déjà une étiquette pour désigner ce concept, ils appellent ça « outernational ». Comme je le comprends (et j’avoue pouvoir me tromper), là où le sticker « world music » était juste censé transformer en nouvelle pop pour citoyens du monde des disques qui n’intéressaient jusque là qu’un public restreint, notamment d’ethnographes, tout ce qui relève de « l’outernational » réunit en fait sous la même bannière des choses beaucoup plus fofolles et marginales. Autrement dit, en soirée « outernational », nous pouvons allègrement mixer de l’électro berlinoise déviante à du funk turc, du chaabi égyptien à du rock psychédélique iranien, de la musique de mariages syriens à de l’acid-house gay de Chicago. Du moment que ça tape, que ça fait danser, que ça rend dingue.

Rendre ça possible, visible, viable, serait en fait aussi un très beau retour aux sources. Non seulement parce que tous les grands DJs des années 70 et 80 ont toujours été des monstres d’éclectisme, cherchant inlassablement et tout autour du monde la boombastique rareté à partager. Ensuite, parce qu’il n’y a pas plus PLUR que de s’ouvrir à des cultures musicales étrangères à une époque de replis, de panique et de soi-disant « chocs civilisationnels ». PLUR? Oui, Peace, Love, Unity, Respect, le crédo de base des ravers les plus allumés des années 90. Y reviendra-t-on un jour, adapterions-nous ça à échelle planétaire? C’est à vous, à nous, de jouer. Ceci n’est en effet pas un vague souhait de bonheur global à peine digne d’une Miss Belgique au QI inférieur au tour de poitrine. C’est un grand plan à mettre en branle. Tout de suite, de préférence. Il y a, comme qui dirait, urgence.

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