Serge Coosemans

La peur des flics, la peur des bandes, la peur des bandes de flics

Serge Coosemans Chroniqueur

Une étude sur le label Quality Nights de l’asbl Modus Vivendi dresse un portrait à priori assez juste du noctambule bruxellois et de ses attentes. En gros, pour mieux sortir, il lui faut davantage de mobilité. Quel beau programme pour un petit Parti Fêtard, estime Serge Coosemans. Sortie de Route, S03E32.

À quelques jours des élections, il y aurait bien un petit « Parti Fêtard » à lancer. Il ne vanterait pas forcément la pilule en vente dans les Monoprix ou le droit au boucan alcoolisé 24 heures sur 24. C’est que le fêtard bruxellois aurait des velléités bien plus responsabilisantes que sa caricature libertaire ne le laisse à priori supposer. C’est en tous les cas ce qui se dégage d’une étude menée par Eurotox et le Centre Bruxellois de Promotion de la Santé; étude en fait principalement menée avec pour but d’analyser la perception qu’ont les gens du label Quality Nights, une initiative de l’asbl Modus Vivendi qui entend promouvoir la réduction des risques dans les lieux de sortie. La synthèse des questionnaires remplis par 600 fêtards dresse toutefois un portrait je pense assez juste du noctambule bruxellois type et de ce qu’il attend de la nuit locale.

Âgé de plus ou moins 27 ans, le fêtard bruxellois vit seul, est salarié ou indépendant, et sort plusieurs fois par mois. Il attend surtout d’une fête qu’elle se passe « bien », sans embrouille, sans bagarre. La bonne ambiance, de la bonne musique. Il s’y rend pour danser, rencontrer des gens, éventuellement pécho, oublier ses tracas, son stress et son quotidien. Pour ce faire, « il faut des bières, oui, des bières de qualité, bien fraîches! » Notre type ne se cache pas de picoler mais se montre nettement plus hypocrite au moment de définir son usage (ou non) des drogues. Cela restera un mystère, un petit seulement. Une fête réussie est sinon aussi une fête où tout le monde peut entrer. Les critères stricts sont considérés comme « une entrave à la liberté » ou même une forme de « sectarisme ». Il est également attendu des personnes à l’entrée, derrière le bar, au vestiaire et aux toilettes, qu’elles soient souriantes et de bonne humeur. « Ces travailleurs stressés en mode Men In Black avec des oreillettes » sont très mal perçus, tout comme le fait de se voir facturés au bar de l’eau du robinet dans des verres mal lavés ou de devoir se soulager dans des toilettes sales (et payantes). Quoi de plus normal? Le fêtard attend tout bêtement un certain confort, une certaine sécurité. Comme on vit au pays des festivals, certains noctambules verraient même d’un très bon oeil se développer dans les lieux de sortie des services de secours comparables à ceux qui prennent en charge à Dour et au Pukkelpop les comas éthyliques, bad trips et autres overdoses. Tout cela n’a rien de franchement scoopesque. On s’en serait fort douté.

Ce qui est par contre plus étonnant et certainement plus problématique dans une ville comme Bruxelles, c’est que selon cette étude, l’un des principaux soucis et celui qui joue assurément le plus au moment de décider de se rendre ou non quelque-part, c’est l’accessibilité des endroits de fêtes. Comment y aller et comment en revenir. Le lieu qui n’est accessible qu’en voiture ne remporte ainsi pas les suffrages des personnes interviewées, par peur du retrait de permis de conduire au retour. Respectueux ou non des lois sur la consommation d’alcool et de drogues, victimes à tort ou à raison d’un éventuel sentiment d’insécurité, les gens ont en fait peur de se faire choper. Par les flics, par une bande, par une bande de flics. À partir d’une certaine heure, dans certains coins pas franchement tardive d’ailleurs, les transports en commun sont par ailleurs inexistants. « Partir du lieu de la fête vers chez soi n’est pas une sinécure, résume l’étude. Le problème évoqué pour le retour aborde l’autre versant du lieu: l’extérieur. En d’autres mots, son accessibilité, la sûreté du quartier, les moyens de locomotion (tram, vélo, auto, taxi), sans négliger l’état d’ébriété des personnes. Les taxis n’ont pas bonne presse, surtout auprès des demoiselles. » On les accuse en effet d’arnaques régulières mais aussi de souvent refuser les petites courses, même si c’est pour traverser un quartier lugubre et anxiogène. En plus d’être chers. Très chers.

À Bruxelles, la mobilité reste donc un enjeu majeur, y compris la nuit. Certes, il faut reconnaître à la STIB que chaque week-end et jusqu’à une heure plutôt correcte, les liaisons entre le Centre-Ville et les communes plus périphériques sont maintenant bien meilleures que jadis. Noctis et Collecto sont des initiatives à applaudir. Là où, par contre, l’expédition se complique, c’est quand on ne veut pas sortir à St Géry, au Cimetière d’Ixelles ou à Flagey mais plutôt aller aux AA Docks d’Anderlecht ou dans des anciennes usines de Forest, de Molenbeek ou d’Evere transformées en boîtes d’une nuit. Sans bagnole, sans info claire et sans rotule de réserve à échanger contre une course en taxi, cela relève sinon de l’impossible, du moins de la grosse complication. À moins d’y arriver quand il y a encore des bus et des trams, soit parfois plus de 5 heures avant l’ouverture des portes.

On s’en plaint assez: en ce moment, la vie nocturne bruxelloise digne de ce nom s’incarne seulement dans une poignée d’endroits, toujours les mêmes, pas plus d’une vingtaine. Cela ne peut pas durer, ça va forcément provoquer une lassitude chez les uns et chez les autres, la volonté de proposer autre chose, ailleurs. Or, si au Centre-Ville et à Ixelles, points centraux de sortie, faciles à atteindre, l’actuelle volonté politique de restreindre la fête devait perdurer, les organisateurs et le public cherchant l’inédit vont forcément finir par se déplacer vers les communes excentrées et la périphérie. Donc, soit on aide ça et se met en place un réseau de transports efficace mais éventuellement difficilement rentable. Soit on ne fait rien, avec pour seuls résultats que les uns resteront chez eux et que les autres risqueront à chaque coup le flop financier. Les soirées se feront mais marginalisées, uniquement fréquentées par les plus motivés. Culturellement, cela peut être enviable, cela nous débarrasserait notamment des touristes et des crevards. Socialement, c’est par contre la porte ouverte à la transformation de cette ville en véritable cité dortoir; ce qui est peut-être après tout le souhait le plus cher des autorités, qui lorsque se pose la question de distraire le peuple, s’imaginent encore et toujours que Bruxelles-les-Bains et les Plaisirs d’hiver font unanimement l’affaire. Bref, on en revient toujours au sempiternel « fight for your right to party »: plutôt que de voir l’activité festive indépendante comme une nuisance, acceptons une bonne fois pour toutes qu’elle participe en réalité au rayonnement et à l’économie d’une ville qui lui reste pour le moment plutôt ingrate. Donc, facilitons-lui la vie, l’implantation et l’accessibilité. Non, je ne suis sur aucune liste ce dimanche.

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