Blutch, Éditions 2024
La Mer à boire
72 pages
Blutch, l’auteur le plus doué de sa génération revient à la création pure pour une histoire d’amour onirique et échevelée: la sienne.
Blutch voulait un “livre sec, sans page de garde, rien du tout, tout ça pour donner l’idée que l’histoire a commencé avant que le lecteur n’arrive et peut-être qu’elle continuera une fois la lecture finie”. Dont acte: le dernier album de Blutch démarre donc dès la page de garde, dans un train qui amène le cow-boy B., alias “Espoir-du-soir”, à Bruxelles-City, avec “son lac, sa plage, ses montagnes, ses promenades et son casino”. Un Bruxelles fantasmé, avec l’hôtel Métropole à flanc de colline, où B. espère retrouvé A., l’amour de sa vie, de 20 ans sa cadette. Mais entre B. qui arrive par la droite, et A. par la gauche, une foultitude de chausse-trappes vont se mettre sur leur route et, entre leurs retrouvailles très charnelles, viennent s’interposer un ermite, un groom, des Indiens, une fée cheyenne, une vieille bourgeoise étrange, un peu de botanique, une traversée de l’enfance et même un fil rouge qui va de la chambre de A. au… sexe de B.
Rien compris? Pas grave, puisque le voyage a plus d’importance que la destination, et que la question qui s’impose à B., à Blutch et à leurs lecteurs en fin de périple propose en soi un début de réponse: “Dis-moi, cow-boy… J’aimerais savoir… En vérité, lequel de nous deux rêve ici?”
Retour à l’écriture
Huit ans déjà que Blutch, fer de lance de la “nouvelle bande dessinée française” apparue au début des années 90, n’avait plus commis d’album réellement original et personnel. Depuis Lune l’envers, récit déjà superbe et un peu délirant sur un auteur de BD à succès en manque d’idées évoluant dans un univers (très) fantasmé, Blutch s’était consacré à réinventer et redessiner les planches de son panthéon personnel (Variations) ou, avec son frère, à s’offrir une aventure de Tif et Tondu (Mais où est Kiki?). Retour donc à l’écriture et à l’originalité, c’est le moins que l’on puisse écrire, avec cette Mer à boire aussi délirante qu’un rêve, et pourtant écho de sa propre histoire d’amour.
Refusant l’autofiction et cette BD du réel qu’il déteste, Blutch emballe donc “des événements qui se sont passés et des lieux qui ont existé” dans un récit d’une liberté totale, ouvert à tous les possibles même impossibles. Une fable qui lui ressemble jusqu’aux références qu’il ne peut s’empêcher de multiplier, du titre clin d’œil à l’écrivain Henri Calet aux cases ou situations évoquant, pour les amateurs attentifs, Franquin, Hergé, Moebius ou lui-même, époque Blotch ou Petit Christian, miroirs déformants mais déjà autobiographiques. Le tout, évidemment, parce que Blutch, servi par un graphisme à la virtuosité assez hallucinante et, grande première, une mise en couleurs directe à l’aquarelle, repousse encore ses propres frontières. Bref, une déclaration d’amour tant à sa femme qu’à la bande dessinée, pas simple d’accès pour les non-initiés, mais proche du coït bédéesque pour tous les autres.
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