La Ligue, à l’assaut

Patrick Bauwen © Richard Dumas/Vu pour Albin Michel
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le dernier thriller de Patrick Bauwen fera sans doute partie des meilleures ventes de l’été. Une des marques de fabrique de La Ligue de l’Imaginaire, le club cool des « page turners » à la française.

L’art de la littérature, dans les pays latins, a toujours eu du mal à s’accommoder avec l’art du divertissement, bien plus en vogue -et respecté- chez les Anglo-Saxons. Si ici, les auteurs aiment pour l’essentiel se considérer comme des artistes, là-bas, ils se voient plutôt comme des laborieux, au sens le plus noble du terme: la recherche de l’efficacité y est une vertu et une qualité, qui a transformé des auteurs comme Stephen King ou Harlan Coben en références ET en stars internationales. Mais ça, cette dichotomie qui a longtemps assuré aux Anglo-Saxons un quasi-monopole sur le thriller, devenue LA littérature de divertissement par excellence -un livre vendu sur quatre est un thriller, moyenne qui explose avec l’été-, c’était avant que quelques Frenchies décomplexés, nourris de littérature US mais aussi de ciné, de séries et de jeux vidéo, ne s’y mettent réellement.

Patrick Bauwen, comme Franck Thilliez, Maxime Chattam ou Bernard Werber, tous membres de « La Ligue de l’Imaginaire », est de ceux-là: ses thrillers, volontiers sanguinaires mais surtout addictifs, se vendent comme des petits pains et récoltent chaque fois des prix. Il en sera d’évidence de même avec Le Jour du chien, son dernier livre: pur « page turner » dans les bas-fonds de Paris, mettant face à face un médecin charmeur et veuf et un serial killer particulièrement retors, chaque page ou presque réservant sa surprise et son twist au lecteur. L’auteur, lui-même médecin urgentiste du samedi au lundi matin en région parisienne, en a fait sa marque de fabrique, réclamée par ses lecteurs, et son parfait ticket d’entrée dans cette Ligue fondée en 1998 et qui réunit désormais la crème du genre: une douzaine d’auteurs plutôt cool et enjoués, attachés à la fiction et au divertissement, et qui se réunissent régulièrement pour des débats, des conférences, parfois une oeuvre collective et surtout « beaucoup de bon temps« . On en parle avec Patrick Bauwen, en signalant au passage que ce club très sélect ne compte qu’une femme, et une Belge -Barbara Abel.

Votre dernier thriller se distingue d’entrée par sa quatrième de couverture, qui ne dit rien de son contenu! Pour mieux obliger le lecteur à avancer dans l’obscurité?

C’est une attitude volontaire, depuis le premier livre. Je ne donne pas beaucoup d’infos au lecteur, mais je l’attrape en lui parlant, en m’adressant directement à lui. C’est ma façon d’écrire, puis de le faire sursauter. C’est le contrat moral qui me lie à mes lecteurs, qui sont à 75 % des lectrices. Je dois ça à Poe, à Stephen King, à Coben, qui a été un véritable déclencheur pour moi. Avant Ne le dis à personne, je pensais, en tant que médecin, n’avoir rien à raconter. Mais j’ai appris avec lui à impliquer le lecteur, à l’immerger et à l’empêcher si possible de lâcher mes bouquins. Je revendique d’être populaire. Je ne me pose pas trop la question du sens ou de « l’importance » de mes livres, de mon style. Je veux surtout être sûr que mes lecteurs vont aimer! C’est pour ça que je suis très attaché à faire tourner les pages. Si je n’ai pas cette mécanique, je vais les perdre. Mon livre qui a le moins marché, c’était Les Fantômes d’Eden: 800 pages, plus écrites, plus romanesques, mais moins efficaces.

Cette idée d’efficacité, c’est vraiment ce qui semble lier les auteurs de la Ligue de l’Imaginaire…

C’est un club à l’ancienne: certains l’envisagent comme un moyen de promotion, d’autres en usent pour partager leurs réseaux et leur carnet d’adresses, mais tous veulent surtout y passer du bon temps. Notre dernier projet, c’est de faire ensemble une Panic room! Dans la Ligue, je pense qu’on se ressemble tous: on a cet amour des histoires, sans se prendre la tête. Et nous sommes tous pour la plupart d’anciens accros aux jeux vidéo. Il y a aussi un aspect psychothérapeutique très fort entre nous: on partage nos TOC, nos angoisses, nos états d’âme. Et puis en France, il n’y a pas d’écoles d’écriture, contrairement aux États-Unis, où on raffole des méthodologies, des lois du genre, des « to do list ». Alors ici, entre nous, on se raconte les nôtres, on établit nos lois, qui ne sont expliquées nulle part. On envisage depuis longtemps d’en faire un petit ouvrage collectif.

Le Jour du Chien, de Patrick Bauwen. Editions Albin Michel. 432 pages.

Thilliez, pilier de l’été

La Ligue, à l'assaut

S’il en est un qui peut faire de l’ombre au Jour du chien aux abords des piscines, ce sera sans doute Sharko, d’un autre membre de la Ligue, Franck Thilliez. Depuis quinze ans et autant de romans (Angor, Pandemia, Rêver…), le Lillois multiplie les fans et les meilleures ventes. C’est à nouveau le cas avec Sharko, et le retour de son couple-phare, riche déjà de six thrillers: les flics Lucie Hennebelle et Franck Sharko se retrouvent cette fois du mauvais côté de l’enquête, avec un suspect abattu par l’une, et la bavure maquillée par l’autre! Leur pire expérience de flics, qui sera sans doute la dernière en roman, mais une pierre de plus à un univers en expansion, puisque l’ensemble des romans Sharko/Henebelle fera prochainement l’objet d’une adaptation télé -Fleuve Noir et Escazal Films viennent d’annoncer la mise en production, pour France 2, d’une première saison de dix épisodes de 52 minutes, basés sur les seuls Gataca et Le Syndrome E. De quoi pérenniser un peu plus la place de Thilliez parmi les rois du thriller et du divertissement grand public, et l’aura de La Ligue dans l’ensemble des médias de masse -les droits d’adaptation du Jour du Chien ont d’ores et déjà aussi été acquis.

Sharko, de Franck Thilliez. Editions Fleuve. 576 pages.

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