La culture tombe de haut

"Li Wei falls to the Earth", 2002. © Li Wei/Courtesy Galerie Paris-Beijing
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Il existe autant de définitions du mot « culture » que d’espèces d’oursins sur Terre. Reste qu’une grande partie des projets culturels en Belgique francophone sent passer la crise: une histoire de fric mais pas seulement.

C’était il y a quelques semaines, dans le hangar métallique de Mons Expo pour la conférence barnum de Mons 2015. Après un prélude sous le signe de Kiss & Cry -le succès de Jaco Van Dormael et Michèle Anne De Mey-, débarquait un ballet de bus du TEC, succédant aux discours d’Elio Di Rupo, Paul Magnette et Joëlle Milquet. On en a retenu deux choses: primo, les TEC ne sont pas toujours en grève et deuxio, les ministres, y compris les Premiers, ne débordent pas d’idées en matière de « culture ». Pourtant, avec un budget de 70.486.744 euros (!), « Mons 2015, Capitale Européenne de la Culture » devrait doper l’inspiration des responsables, ceux qui choisissent les directeurs d’institutions culturelles en jouant (aussi) de leur couleur politique, noyautent les conseils d’administration et détiennent les cordons de la bourse. Ce truc baptisé « subsides », « subventions », « conventions », qui alimente -sans forcément gaver- la plupart des théâtres, compagnies de danse, films de fiction ou documentaires, expositions, musées, festivals belges. Le rock n’étant pas oublié, même si le soutien des divers pouvoirs publics reste plutôt marginal au niveau des artistes: un chanteur comme Daan, par exemple, étant fier d’assumer lui-même la conduite financière de sa petite entreprise non subsidiée à succès.

Petit chimiste

« Le Botanique, comme les autres institutions culturelles, doit faire face à la réduction d’1% des subventions linéaires de la FWB (Fédération Wallonie-Bruxelles). Comme il n’y a pas eu d’indexation de la subvention depuis plusieurs années, cela ne doit pas nous mettre si loin des 7% que la Communauté Flamande va ponctionner sur la culture au nord du pays. » Avec trois millions d’euros à l’année reçus de la FWB -plus des subsides ponctuels de la région-, le Botanique ne semble pas miséreux: mais avec 250 concerts l’année, les programmes de résidence (28 en 2014) et une forme d’éthique salariale –« jamais on ne donnera moins à un artiste belge qu’à un étranger du même calibre »-, tout semble plutôt correct. N’empêche que là aussi, comme l’explique Paul-Henri Wauters, directeur général adjoint du Bota, « les aides aux projets de création de la FWB seront moindres ». Et puis il y a l’autre loi, celle brutale du marché. « Lorsqu’on m’a téléphoné en dernière minute pour me dire que Prince voulait jouer au Bota, les places étaient initialement fixées à 50 euros: lorsqu’elles ont grimpé au double, je n’ai rien pu faire. »

D’ailleurs, la culture fonctionne comme « Le Petit Chimiste »: sous vases communicants. La FWB et d’autres travaillent en enveloppes fermées, par secteur: les subsides décrochés par les uns n’iront pas aux autres. Il n’y a pas -euphémisme- assez d’argent. Ainsi lorsqu’un des deux Ateliers de cinéma de la FWB, chargé de soutenir le documentaire, reçoit 26 projets pour 60.000 euros à distribuer. Quand on sait qu’un doc de 52 minutes coûte, disons, entre 25 et 150.000 euros, on ne sait trop s’il faut en pleurer ou arrêter de « faire son cinéma ». Certains acteurs au sens premier, comme Jean-Louis Sbille, retraité de la RTBF que l’on a vu chez Cargo de Nuit et Blabla, prônent un retour à la modestie: « La culture, ce n’est pas trois heures de file pour « faire l’expo Van Gogh ». Il n’y a plus d’argent et alors? Arrêtons de tendre la main… Il est vrai que la plupart des comédiens autour de moi sont enseignants. Ou alors il faut être héritier. La culture, c’est une pratique difficile. »

« Même si la culture en Belgique est moins soumise aux complications administratives que, disons, la France, on a parfois l’impression d’être livré à un monde de rongeurs -je n’ai pas dit de rats…- engloutissant les tonnes de dossiers à remplir pour avoir des sous. »Laurent Busine dirige le MAC’s, soit 3,2 millions de subventions à l’année, dont 1,9 de la FWB, le solde venant de la Province du Hainaut, de la billetterie et du sponsoring. « Il ne s’agit pas seulement d’une question de papiers en constante augmentation depuis une décennie: les travailleurs que nous employons, faute d’argent, ont pour la plupart un statut précaire. Cela veut dire qu’un type fait très bien son boulot pendant trois ans et qu’après, on doit quand même le mettre à la porte pour pouvoir engager quelqu’un qui va le remplacer au même poste et déclencher la même aide. » Catherine de Braekeleer, directrice du Centre de la Gravure de La Louvière, précise le voyage en absurdie: « Chaque année, nous remettons un Prix de 2500 euros à un artiste: le dossier à remplir frôle les 40 pages… »

Tout n’est pas lié à l’argent mais aussi à l’idée même de culture. Ainsi Alex Vizorek, le comique qui a fait Solvay -preuve de l’élasticité du monde…-, témoigne de la mesquinerie parfois ambiante: « La culture ne m’a jamais aidé, on me regardait de haut. Moi qui me voyais jouer dans Le Cid à la Comédie Française (sourire), j’ai vite compris que les humoristes étaient les parents pauvres de la subvention culturelle. J’ai croisé Milquet et Laanan, elles ne savaient absolument pas qui j’étais. Je n’ai pas l’impression d’avoir été snobé par les autres artistes mais bien par les institutions. A Avignon, quand j’ai voulu déposer mes flyers au Théâtre des Doms (vitrine subsidiée de la FWB, ndlr), on les a simplement refusés! Alors que pour moi, être artiste, c’est d’abord mettre ses couilles en scène. »

En attendant l’arrivée d’un hypothétique Jack Lang belge aux manettes, on réécoute les speechs d’intro donnés par Barack Obama à chaque concert pop, rock, soul, jazz, blues d’In Performance At The White House: textes inspirés, articulés, drôles, brillants. Et l’on en conclut qu’un pays (ou sa moitié communautaire) ne sachant pas mener à bien la diversité de son art n’est vraiment qu’un borgne égaré chez les sourds. Un truc qui marche très moyennement.

Dans le Focus du 26/12 et tout au long de cette semaine sur FocusVif.be, les opinions de

  • Benoît Mariage, cinéaste et professeur
  • Gil Mortio, producteur et musicien
  • Thomas Gunzig, écrivain, libraire, chroniqueur et professeur
  • Denis Bajram, scénariste et dessinateur
  • Laurent Busine, directeur du MAC’s
  • Philippe Sireuil, metteur en scène et co-fondateur du Varia

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