ONE-SHOT | Coup de maître de Frederik Peeters et Loo Hui Phang: leur western dévoyé, d’une vénéneuse sensualité, ne ressemble à aucun autre.
Ce western-ci, dans ses premières pages en tout cas, ne semble pas déroger aux règles du genre, car Loo Hui Phang connaît ses gammes: « Le western, c’est en général une histoire d’hommes plongés en milieu hostile. Mais ce qui m’intéresse, c’est de reprendre ces éléments pour en faire autre chose. » Autre chose donc: s’il y a bien, apparemment, trois hommes plongés dans un milieu hostile, à savoir les plaines encore sauvages du Texas au lendemain de la guerre de Sécession, ceux-ci vont vite se révéler très éloignés des clichés. Il y a d’abord le photographe Oscar Forrest, symbole de la modernité, mais trop poudré pour être honnête, ou hétérosexuel. Il y a ensuite le jeune Milton, jeune main-d’oeuvre qui n’est pas celui que l’on croit, et qui fait bien plus que murmurer à l’oreille des chevaux. Enfin, même l’infâme ingénieur Stingley, à la tête de cette mission d’exploration, se révèle « différent »: outre qu’il aime se promener le cul à l’air, il rêve de transformer ce monde sauvage en monde « parfait », expurgé des sauvages, des femmes et même du sexe -« une civilisation qui investirait son énergie sexuelle dans la productivité de ses industries serait la plus puissante de toutes« . Trio étrange, dont on n’a pourtant encore rien dit: il y a ici, aussi, des Indiens, un tueur défiguré, des esprits, des chevaux fous, beaucoup de chamanisme. Et puis cette entêtante odeur des garçons affamés, qui donne son nom à ce western aussi atypique que réussi.
Intime et fantastique
Frederik Peeters, l’auteur suisse multi- récompensé des Pilules bleues à Aâma, et Loo Hui Phang, la Normande d’origine laotienne connue pour ses travaux avec Philippe Dupuy (Les Enfants pâles) ou Hugues Micol (formidable Prestige de l’uniforme) se connaissent depuis leurs débuts chez Atrabile. Et eurent très vite l’envie d’une collaboration. Il a fallu plus de deux ans de réflexion et trois de travail commun pour arriver à ce vénéneux huis clos à ciel ouvert, très inspiré et totalement voué au dévoiement du genre, peu habitué aux sexualités hors normes ou à la porosité entre monde matériel et invisible. Une porosité qui, comme le fantastique, fait partie intégrante de la culture bouddhiste de Loo Hui Phang, et qui imprègne littéralement cet album hypnotisant. Et une nouvelle fois graphiquement très réussi: Fred Peeters, très éloigné du monde plastique et pop de Aâma, se rapproche un peu plus encore des frontières de son modèle, cette fois un peu plus Giraud que Moebius.
DE FREDERIK PEETERS ET LOO HUI PHANG, ÉDITIONS CASTERMAN, 112 PAGES.
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