Kore-Eda a une dent contre le cinéma japonais

Hirokazu Kore-eda, ici à Cannes en 2013, où il a remporté le Prix du jury pour Tel père, tel fils. © REUTERS/Jean-Paul Pelissier
FocusVif.be Rédaction en ligne

Hirokazu Kore-Eda, le réalisateur de Nobody Knows et Tel père, tel fils, craint la disparition du 7e art dans son pays et appelle à remettre la culture au coeur du débat selon lui pollué par une stratégie purement commerciale soutenue par les pouvoirs publics.

A moins d’un sursaut en faveur de la création, « je pense que le cinéma japonais va petit à petit se réduire et finir par péricliter, sincèrement », s’inquiète le réalisateur de 54 ans, qui s’est fait connaître par de poignantes chroniques familiales, dont Nobody knows (2004), Tel père, tel fils (2013) et Notre petite soeur (2015).

« L’industrie du cinéma japonais est renfermée sur elle-même, elle ne se tourne pas du tout vers l’étranger. Pour le meilleur et pour le pire, le Japon est une exception mondiale dans le sens où on peut encore espérer faire du profit sur un film rien que sur le marché intérieur. Le secteur se repose là-dessus », déplore-t-il.

Et quand d’aucuns consentent à regarder hors du Japon, c’est pour se mettre au service du « Cool Japan », une stratégie lancée par Shinzo Abe afin de diffuser la culture nippone dans le monde, en sélectionnant surtout les réalisations commerciales qui font le plus recette.

Kore-Eda, qui s’exprimait en octobre, juste avant que ne débute l’édition 2016 du Festival international du film de Tokyo (TIFF), ne mâche pas ses mots: « un festival de cinéma n’est pas un marché pour exporter les films japonais à l’étranger, ce doit être un lieu de réflexion ».

Et que des politiciens interviennent dans un festival avec l’idée qu’il peut apporter quelque chose pour le pays, comme le fait Shinzo Abe, c’est tout simplement « bafouer le cinéma », juge Kore-Eda.

« Ici, au Japon, la culture n’est pensée qu’en fonction des bénéfices qu’elle pourrait rapporter au pays. Cette vision est la même que ce soit pour le cinéma ou les JO. Mais on se doit de leur dire haut et fort qu’ils ont tort », assène-t-il.

Et de dénoncer ainsi un système où une production n’est souvent décidée que si elle trouve par avance des sponsors pour la financer dans un système commercial dit de « médiamix » (manga, série TV, films, produits dérivés).

« Carcan »

Si le festival de Cannes est soutenu par le ministère français de la Culture, le TIFF, né en 1985, est lui parrainé par le ministère de l’Economie et du Commerce japonais, flanqué d’une longue liste d’entreprises aux visées plus mercantiles que culturelles selon le réalisateur.

« Dans un contexte où l’objectif premier est de vendre, un contenu audiovisuel ne peut pas prendre de la hauteur en tant qu’objet culturel », souligne-t-il. « Si une entreprise investit dans un film avec cet objectif de rendement, le cinéma ne gagne pas en maturité. Je pense donc qu’un véritable soutien de la culture par les entreprises est certes plus qu’indispensable, mais au Japon, peu d’entre elles ont la philosophie » du mécénat.

Sa critique du système s’étend aussi à la formation, limitée au Japon à une seule école, fondée en 2011. « Je ne sais pas si c’est la solution idéale, mais en Europe et en Corée du Sud il y a des universités nationales qui offrent de nombreuses possibilités. Il y a des voies clairement tracées. Ce n’est pas le cas au Japon. »

Hirokazu Kore-Eda, qui a commencé sa carrière comme réalisateur de documentaires avant de construire une oeuvre de fiction dépouillée et lumineuse, loin du spectaculaire, espère que les jeunes générations sauront emprunter d’autres chemins pour se démarquer.

« Je suis sûr que pour de nouveaux cinéastes va apparaître la nécessité de réaliser leur oeuvre en dépassant le carcan actuel de l’industrie du cinéma », dit-il, voyant même des possibilités « sous la forme d’une collaboration avec Amazon ou Netflix ».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content