de Florence Dupré la Tour, éditions Dargaud
Jumelle (1/2) - Inséparables
176 pages
Après Cruelle et Pucelle, Florence Dupré la Tour entame la dernière ligne droite de l’exploration de son enfance: sa gémellité. Intense.
Le sujet était là depuis 2016 et le début de son projet autobiographique à nul autre pareil -d’abord avec Cruelle, qui explorait son rapport aux animaux, puis Pucelle, sur la découverte de sa sexualité, le tout dans le cadre d’une famille nantie mais très dysfonctionnelle et traditionaliste. Il se laissait même évidemment deviner dans ses titres en “-elle” amenant naturellement à ce sujet central, primaire et fondamental dans la construction de sa personnalité, à la fois unique et double, puisque Florence “n’a jamais été seule dans l’univers”: Florence Dupré la Tour est la jumelle de Bénédicte, née, paraît-il, 15 minutes après elle, “d’une fusion, formant un mélange homogène, un équilibre parfait. 1 +1= 1. Déjouant les lois mathématiques, une nouvelle forme de vie, unique, sans pareille, apparut”.
La dimension d’elle-même “qui me définit le plus et en même temps m’empêche de me définir”. Et qu’elle explore ici au sommet de son art narratif, capable comme aucun autre, quand il est bien utilisé, d’exprimer l’intensité, et parfois la violence, des sentiments. Car Florence Dupré la Tour raconte ici à quel point une relation même fusionnelle n’est jamais symétrique. Et que dans un monde “où le Je n’existe pas”, la solitude peut quand même, et plus encore, devenir extrême. Et dans le langage qu’elle a elle-même mis en place dans sa bande dessinée, ce récit, si intime, si “précis dans l’infinitésimal”, en devient universel et en tout point formidable.
Grand œuvre panoptique
L’intérêt et la réussite de Jumelle tient donc évidemment dans son fond, d’une précision chirurgicale sur la relation de ce “couple gémellaire” si particulière et complexe, et dans la manière dont il s’impose comme la clé de voûte du travail autobiographique de son autrice, proposant avec cette trilogie en “-elle” une relecture panoptique d’une même enfance, revue chaque fois sous des prismes et des “traumas” différents, formant ensemble l’un des portraits les plus riches et complexes qu’ait donné l’autobio à la BD. Mais c’est bien sa forme qui peut donner à Jumelle son statut de chef-d’œuvre, son autrice usant cette fois de toutes les couleurs de sa palette et de son trait à chaque album plus expressif et outrancier quand il le faut pour narrer ce récit, qui mêle l’incroyable douceur de l’enfance et de l’extrême sororité aux affres de la quête d’identité, d’une intensité sans pareille quand on la vit enfant, avec l’hyper sensibilité de l’autrice. Un mélange de joie et de violence, de pure enfance et de punkitude, qui fait de ce premier volet de Jumelle le meilleur album à ce jour de Florence Dupré la Tour.
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