Jojo, le meilleur de l’enfance

© Dupuis
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Les nouveautés en BD jeunesse ou  » tout public  » se multiplient avec la fin des cours. Mais aucune n’égale la qualité de Jojo. Une série merveilleuse mais incomprise, rééditée en intégrale.

Il n’est jamais trop tard pour découvrir de grandes oeuvres et même, osons le mot, des chefs-d’oeuvre absolus de la bande dessinée. Ainsi, à l’heure où les familles vont se ruer dans les librairies à la recherche du chouette cadeau pour féliciter le gamin ou la gamine de son bon bulletin, celles-ci seraient bien avisées de ne retenir qu’un nom, si elles ne le connaissaient pas encore, ou pire, l’avaient oublié : Jojo, la série réalisée par le Belge André Geerts. Dix-huit albums publiés aux éditions Dupuis et dans le journal Spirou de 1987 à 2010, l’année de sa mort bien trop précoce, à l’âge de 54 ans. Car on est prêt, ici, à prendre le pari : impossible, quel que soit son âge et ses a priori, de ne pas aimer Jojo, son entourage (sa Mamy, son ami Gros Louis, ses copains d’école, son père absent et plombier, même l’hilarant directeur) et ses aventures, à la fois simples mais si vraies ; les seules peut-être à avoir autant rendu la poésie et l’émotion de l’enfance, au même titre que Le Petit Nicolas de Goscinny et Sempé ou le Petit Noël de Franquin. Des parallèles qui ne doivent évidemment rien au hasard : André Geerts était de ceux-là, créateur d’une oeuvre universelle et certainement pas nostalgique, comme on l’a longtemps comprise ou classée. Il n’est donc jamais trop tard pour la découvrir, et réparer l’affront : les éditions Dupuis, tout en continuant la distribution des albums, poursuit l’édition de Jojo en intégrale. Le deuxième volume, abondamment fourni en dessins inédits, bonus et commentaires, est sorti récemment, et contient quatre des plus beaux albums de la série – dont l’incontournable et tellement Geerts : Le Serment d’amitié.

Il y a un humour et une tendresse permettant d’oser tous les sujets

 » C’est une série qui, encore aujourd’hui, a besoin d’être conseillée, parce qu’elle a fait l’objet d’une grande méprise : elle n’est pas du tout nostalgique, ni même datée « , confirme Morgan Di Salvia, historien de formation et grand spécialiste BD, qui s’est chargé de rédiger les longs mais passionnants textes d’ouverture de cette intégrale prévue en quatre tomes.  » Au contraire, elle tient la route comme peu peuvent s’en vanter, à part peut-être Tintin et le Spirou de Franquin, et encore, peut-être pas tous. Je crois que n’importe quel éditeur serait heureux de signer Jojo aujourd’hui, et ça vaut vraiment la peine de rappeler que c’est une grande série, essentiellement parce que les enfants y sont vrais. Les gamins dans Cédric ou Le Petit Spirou sont des caricatures d’enfants, mais pas chez André Geerts. Il y a une vérité dans son oeuvre, qui rend sa lecture très émotionnelle. Ce que je crois avoir compris, à le lire et à écouter ses proches et ses collègues, c’est qu’il se considérait lui-même, vraiment, comme un enfant. Un enfant prisonnier d’un corps d’adulte et qui avait lui-même perdu son père très jeune. Ça reste vraiment un des joyaux de Dupuis, complètement dans son ADN – une bande dessinée de grande qualité, pour tous les âges, bien dessinée, dénuée de vulgarité, pas racoleuse… Mais qui n’est jamais vraiment devenue un best-seller. Je crois qu’on n’a pas compris ce qu’il voulait faire.  »

André Geerts, auteur trop tôt disparu de Jojo.
André Geerts, auteur trop tôt disparu de Jojo.© daniel fouss

La naissance de Jojo et la carrière d’André ne furent en effet ni simples ni fulgurantes. Entré à Spirou après des études à Saint-Luc, à la fin des années 1970, en compagnie d’une nouvelle génération d’auteurs porteuse d’une vraie rupture tant thématique qu’esthétique (Hislaire, Jannin, Le Gall, Frank Pé, Yann, Conrad, Janry…), André Geerts met près de quinze ans à réellement s’imposer dans le journal et chez Dupuis, se lançant dans des aventures sans lendemain ( La Petite Chronique vénusienne, Le Commissaire Martin) ou, à la demande de ses rédacteurs en chef, dans de grandes illustrations  » à la Sempé  » (réunies depuis dans les deux albums Monde cruel) ou des cartoons bouche-trou mettant en scène un petit garçon porteur d’une casquette trop grande pour lui,  » pour avoir une sorte de Petit Nicolas dans les pages du journal…  » poursuit Morgan Di Salvia.

Tellement vrai

 » Quatre rédacteurs en chef sont presque passés au travers de son talent, mais c’était l’époque de XIII ou de Blueberry dans Spirou, avec une rédaction pas vraiment ouverte à la poésie douce et tendre d’André… Cependant, ce long chemin lui a aussi permis de mener beaucoup d’expérimentations graphiques, de se chercher, et de trouver sa voie : quand il a enfin pu faire de Jojo une vraie bande dessinée, avec des récits en planches et à suivre, il était prêt « . Et le résultat n’est ni Sempé, ni Le Petit Nicolas : il y a dans les albums de Jojo une douceur, un humour et une tendresse qui permettaient à son auteur, lui-même fragile, d’oser tous les sujets et toutes les thématiques, même les plus graves, là où bien des auteurs modernes ou vendeurs n’osent s’aventurer, ou ne le font pas avec la même finesse : la mort de sa maman, l’absence du père (puis sa nouvelle copine), la dépression de Mamy, les amitiés indéfectibles, les attractions naissantes… Tout sonne vrai dans Jojo, jusqu’aux décors bucoliques, la petite maison avec jardin ou l’école communale, les principaux décors des non-aventures de Jojo Semaine (son nom de famille) :  » C’est incroyable comme ça ressemble à Linkebeek, là où André a longtemps vécu. « .

Jojo - Tome 2 : l'intégrale, 1991-1998, de André Geerts, éd. Dupuis, 264 p.
Jojo – Tome 2 : l’intégrale, 1991-1998, de André Geerts, éd. Dupuis, 264 p.

Vinyle ou Spotify ?

On conseille donc chaudement de choisir du Jojo pour les vacances, et pas seulement dans ce beau format d’intégrale qui ravira surtout les amateurs pour ses 40 pages de bonus et de dessins inédits ; il ne faudrait pas, en effet, que cette célébration se transforme en enterrement, et sonne le glas de Jojo en album, le meilleur format pour le faire lire aux enfants, et faire vivre la série. Mais aucun risque là-dessus, affirme Morgan Di Salvia :  » Il n’est pas question, à ma connaissance, d’arrêter les albums, qui continuent d’être bien présents. Mais Jojo a aussi toute sa place dans le patrimoine Dupuis, aux côtés d’un Gil Jourdan, d’un Docteur Poche ou d’un Johan et Pirlouit. C’est un standard, comme en musique : on peut les écouter sur Spotify, et quand même se les offrir en vinyle.  »

Jojo – Tome 2 : l’intégrale, 1991-1998, de André Geerts, éd. Dupuis, 264 p.

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