Gran Turismo 7, le festin nu
Cultivant plus que jamais une vision porno et hygiéniste de l’automobile, Gran Turismo 7 revient à ses sources dans un monde allergique aux bagnolards. Décryptage d’une attachante anachronie.
C’est un reproche, inlassablement rabâché depuis un quart de siècle par les gamers, la presse spécialisée et l’industrie du jeu vidéo: mètre étalon graphique de cinq générations successives de PlayStation, Gran Turismo n’a jamais affiché de dégâts significatifs sur ses bolides. Ce grief résonne, une fois de plus, face au septième volet principal de la saga motorisée made in Tokyo. Kazunori Yamauchi, son créateur, ne s’en est jamais clairement dédouané. Au-delà de la pression des constructeurs automobiles (qui rechignent à voir leur image voler littéralement en éclats), la culture automobile japonaise et la vision très otaku de Yamauchi expliquent ce parti pris. Marqué par un retour aux sources assumé pour ses 25 ans, Gran Turismo 7 cultive d’ailleurs, plus que jamais, une vision automobile pornographique et hygiéniste.
Il y a dix ans, Patrick Söderlund et Rod Cousens qualifiaient respectivement Gran Turismo 5 de jeu de course « stérile » et « ennuyeux« . L’ex-vice-président exécutif d’Electronic Arts (Need for Speed) et le boss de Codemaster (F1 2012 et Dirt 3) soulignaient son absence de dégâts, surtout face à leurs productions maison promptes à faire valser les capots et les pare-chocs. Comme une réponse à ces remarques, Gran Turismo 7 s’évertue à cribler ses différentes sections de conversations avec des designers automobiles et autres pilotes pour transformer le joueur en fin connaisseur de l’Histoire automobile. Et par-delà, en collectionneur invétéré.
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Triangle amoureux
Avec 30 quêtes au menu, le nouveau « Café » de Gran Turismo 7 cristallise les ambitions éducatives de Yamauchi. Ce hub demande de collectionner des trios de voitures symboliques d’une époque et d’un continent, en remportant des courses correspondantes: des tractions avant japonaises produites par Honda et Suzuki dans les années 90, ou même des compactes européennes des sixties. Chaque série complétée se solde par une leçon d’Histoire allant -heureusement- à l’essentiel. Des photos d’archives se doublent alors des courtes séquences en 3D temps réel mettant les véhicules dans des poses lascives. De la popularisation des Fiat 500 et autres Cox au pourquoi des muscle cars américaines, ce mode remplit une jauge de niveau de collectionneur offrant des crédits, au fil des missions remplies.
Jouets vintage hors de prix, maquettes d’avions, figurines hentai, cartes de collection… Compléter une « série » relève souvent du fanatisme au Japon. Le Café de Gran Turismo 7 embrasse cette idée. Depuis ses débuts en 1998, Kazunori Yamauchi cultive d’ailleurs son obsession pour les voitures via des modèles réduits qu’il empile dans ses bureaux à Edagawa, à l’est des principaux centres-villes de Tokyo. Les allées open space de Polyphony Digital regorgent ainsi de vitrines et autres boîtes collector trônant sur des armoires. Machines à drift et autres bombes de rallye françaises répondent à l’appel par centaines. Pas étonnant si, dans les premiers volets de la saga, on retrouvait sur le bas de caisse de certaines voitures in game le logo scanné d’AUTOart, fabricant de modèles réduits de collection.
Auréolé d’un pilotage dont le comportement physique cristallise la quintessence de la saga, Gran Turismo 7 retourne à ses origines en livrant un « mode carrière » s’apparentant plus que jamais à un jeu de rôle. Son marché de voitures d’occasion, disparu de la série depuis neuf ans, se complète de showrooms de voitures neuves dédiés à 50 constructeurs. Une Dallara SF19 Super Formula de Toyota pose sous la carlingue d’un avion à réaction. Une Mazda RX 7 se perd dans les ruelles pavées d’une petite ville italienne typique. Chacun des 400 véhicules proposés peut, avant l’achat, être mis en scène. Attention, images explicites.
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Gros plan, petits détails
Ce pornautomobile imprègne en outre l’état d’esprit d’une foule d’activités bis de Gran Turismo 7. Dans le pavillon photo du jeu, Olivier pousse ainsi le gamer à se livrer à une séance de shooting en glissant une voiture parmi 2.500 paysages grandiloquents. Great Ocean Road en Australie, Porta Rossa à Florence ou une forêt de bambous d’Arachi Yamaha au Japon… Le photographe pro prend le gamer par la main pour l’aider à manipuler l’impressionnant appareil photo virtuel du jeu. Régler la focale, gérer l’ouverture… Les plus habiles finissent par jouer avec des démons de papier lumineux géants d’Aomori, reflétés sur la carrosserie d’une skyline. Notons que ce mode photo s’applique aussi aux replays de chaque course. L’occasion de découvrir des détails insoupçonnés, comme un disque de frein rayé.
Pour Yamauchi, on l’aura compris, l’automobile est un temple sacré. Ce dernier a récemment avoué vouloir transmettre sa passion aux jeunes qui ne s’y intéressent plus. Sa vision du Real Driving Simulator n’inclut donc pas l’idée de dégâts. Sa passion aseptisée, maniaque et otaku bat d’ailleurs au rythme de la culture japonaise. Là-bas, les véhicules évoluant dans le trafic sont immanquablement propres, jamais griffés et encore moins accidentés. De l’aveu même de Yamauchi, son travail se rapproche d’ailleurs de celui d’un maquettiste obsessionnel. Ce fantasme se traduit également dans les visuels 4K de Gran Turismo 7. La texture mousseuse de certains tableaux de bord change ainsi sous les ombres des arbres qui défilent. La diffraction lumineuse d’un clignotant irradie des bulles de feu stop arrière. Le festin rétinien est au rendez-vous. La nuit qui tombe doucement en Australie, au troisième tour, corse les débats et rend progressivement les virages plus difficiles à anticiper. L’oeil est rincé. Et plus que jamais, face à l’électrification et à l’autonomie qui obsèdent le monde automobile, Yamauchi se pose en gardien du temple. Un édifice qu’il n’abîmera sans doute jamais.
Gran Turismo 7, édité par Sony Computer Entertainment et développé par Polyphony Digital, âge: 12+, disponible sur PlayStation 4 et 5 (version chroniquée). ****(*)
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