Marcin Dudek explore l’effet de masse dans The Group

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Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Ancien hooligan devenu plasticien, Marcin Dudek s’empare de la question du groupe de manière inédite, Au Kunsthal Extra City d’Anvers.

Il nous semble que Marcin Dudek (Cracovie, 1979) n’aurait pas pu rêver meilleur décor pour The Group que l’ancienne église dominicaine désacralisée qui accueille le Kunsthal Extra City depuis 2020. Sa pratique se fond à merveille dans ce cadre taillé pour suggérer aux individus quelque chose de plus vaste qu’eux. Pendant sept ans, cet artiste polonais ayant grandi après la dissolution du bloc de l’Est a intégré un groupe de supporters de foot, les ultras du KS Cracovia. Précisons qu’il ne s’agissait pas pour lui de tenter une expérience ou de jouer les infiltrés. Non, comme il le raconte, appartenir à une telle faction était “le seul horizon possible pour un gamin issu du milieu ouvrier” se montrant désireux d’exister (et pas seulement de vivre). L’artiste installé à Bruxelles depuis dix ans garde ainsi le souvenir de week-ends coincés entre scènes apocalyptiques de bagarre -il se voit encore à plat ventre dans un wagon dévasté- et moments de liesse au sein de son kop. Devenu plasticien en raison de l’étrange et presque inexplicable conviction qu’il était destiné à autre chose, Dudek s’emploie désormais à creuser la nature du groupe à travers son œuvre. Cette structure, souvent caricaturée par les médias, le Polonais en révèle les ambiguïtés fondamentales: elle signale autant qu’elle invisibilise, elle protège autant qu’elle met en danger.

Extase mystique

Encore restait-il à imaginer une grammaire formelle qui épouse le propos sans en trahir cette matière hautement inflammable. À ce petit jeu-là, Marcin Dudek s’avère imbattable, lui qui apporte un soin méticuleux à dénicher des matériaux ad hoc, qu’il ressuscite le retable ou s’empare d’images d’archives -on notera que ce plasticien aura également les honneurs d’une exposition à l’IKOB (Eupen) entre le 19 septembre et le 26 novembre.

On en prend la mesure dès l’entrée, où l’œuvre textile éponyme The Group (2021) stoppe net la progression du visiteur. Il s’agit d’une veste de huit mètres de haut et composée de 300 “bombers”, ces blousons en nylon prisés par les supporters, patiemment cousus les uns aux autres. Immersive, la pièce géante invite le regardeur à se glisser en elle. Plus loin, c’est une glaçante installation qui retient l’attention. The Protectionist Reflex (2017) condense les ambiguïtés des dispositifs sécuritaires propres au foot. Il s’agit d’un morceau de clôture de stade, qu’un mécanisme simple active bruyamment d’avant en arrière. “Censée protéger, la clôture représente en substance l’hostilité absolue et, de ce fait, elle pousse la masse à la violence plutôt que de l’en dissuader”, commente Dudek. Plus troublant encore, la vidéo Nest Man (2023) montre les “capos”, ces supporters en chef qui mènent les chants depuis une position en hauteur instable. Réalisée à partir d’images glanées façon found footage, la séquence exhibe l’extase, quasi mystique, qui s’opère durant un match.

The Group De Marcin Dudek, au Kunsthal Extra City, Anvers. Jusqu’au 08/10.

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