Farm Prod: le collectif bruxellois fête ses 20 ans à LaVallée

La disparition de Liu Bolin sous les couleurs de Farm Prod. © gautier houba
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

À l’occasion d’une vaste exposition à LaVallée retraçant 20 ans d’existence, le collectif d’artistes Farm Prod montre toute l’étendue d’une pratique picturale élargie qui résiste aux étiquettes.

Il y a tout juste dix ans, Liu Bolin profitait d’une rétrospective organisée à Bruxelles par la galerie Paris-Beijing pour mettre en scène une autre de ses spectaculaires disparitions calées entre la performance et la photographie. Surprise, l’artiste caméléon chinois avait sollicité… les membres de Farm Prod. Mission? Intégrer le corps de l’auteur de Caché dans la ville à l’une des fresques colorées identifiées comme la signature du collectif ultra actif. À coups de spray can et de pinceaux, la fine équipe avait relevé le défi haut la main. Résultat? Bolin était introuvable, plus invisible que jamais sous une impressionnante lave chromatique.

L'équipe aujourd'hui: cinq artistes dédiés à la création plurielle.
L’équipe aujourd’hui: cinq artistes dédiés à la création plurielle. © lydie nesvadba

Qu’un artiste contemporain renommé, alors au sommet du marché de l’art international, se soit adressé à cette structure bruxelloise de taille réduite ne doit en rien étonner. Depuis ses débuts, Farm Prod n’a cessé d’étendre le domaine de la peinture urbaine. Une exposition auto- produite déployée, pendant un mois, dans un ancien espace industriel de la capitale belge en témoigne de manière éclatante. Ponctuée de temps forts (soirées concerts, ateliers, visites…) et sous-titrée In Paint We Trust, elle laisse voir un travail régi par une approche à 360 degrés du fait pictural. Son propos s’étend bien au-delà de l’étriqué périmètre “street art” qu’on lui accole trop souvent pour se débarrasser de la question. Découvert en plein montage, le lieu de 1500 mètres carrés, connu des amateurs sous le nom de LaVallée, s’articule en plusieurs sections: couloir temporel farci d’archives, dessins préparatoires, grandes compositions réalisées à plusieurs, interventions in situ, ou encore toiles individuelles figuratives et abstraites. L’œil mesure la puissante forge plastique à l’œuvre. “Le tout est plus que la somme de ses parties”, plaidait Aristote. L’imparable démonstration est appuyée par un imposant volume de 156 pages dont l’envie remonte au premier confinement. Illustré de documents rares et originaux et publié par CFC-Éditions, il confirme le talent de ces fresquistes hors pair.

Quelques exemples des œuvres collaboratives du collectif.
Quelques exemples des œuvres collaboratives du collectif. © Farm Prod/Arnaud Debal/Frederic Lebbe

Tels des ovnis

À l’heure où le hip-hop fête ses 50 ans, il faut résister à l’envie spontanée de parler de Farm Prod comme d’un crew. Guillaume Desmarets (43 ans) met les points sur les “i”: “Crew renvoie trop vers la scène graffiti et, même si certains d’entre nous y sont apparentés, il est plus exact de nous envisager comme une bande de potes réunis autour de l’envie et du plaisir de peindre… Mais pas forcément dans l’espace public”, explique ce membre présent depuis les premières heures de l’aventure. C’est à Tournai que tout a commencé, à l’École Supérieure des Arts Saint-Luc.Le fil rouge qui lie la bande de départ, soit cinq à dix personnes, c’est un peu le graphisme et beaucoup l’illustration. Après les études, Arnaud Debal et moi nous sommes retrouvés en 2003 à Bruxelles dans un squat à la place de l’ancien hôtel Tagawa sur l’avenue Louise. Cet endroit qui réunissait 50 personnes était propice à la création. Ça nous a donné l’envie de refaire ce que nous faisions pendant nos études, c’est-à-dire peindre ensemble, vivre dans une émulation festive.” D’autres membres intègrent le noyau, tous pareillement quadragénaires aujourd’hui: Nelson Dos Reis, Johan Baggio, le vidéaste Clément Nourry, qui vole de ses propres ailes, ou, par la suite et plus occasionnellement, Piotr Szlachta.

Quelques exemples des œuvres collaboratives du collectif.
Quelques exemples des œuvres collaboratives du collectif. © Farm Prod/frédéric lebbe/nelson dos reis

Très vite, un nom voit le jour, Farm Prod. Une ferme en contexte urbain? “Pendant nos années d’études tournaisiennes, nous kotions dans l’aile d’une ferme qui se trouvait du côté de Ramegnies-Chin. On nous appelait “les gars de la ferme”, on trouvait ça marrant. Aussi, quand on parle des produits de la ferme, on pense à quelque chose de varié et nous voulions justement montrer qu’on était une entité constituée de plein de personnalités différentes, on forme une vraie farmily”, s’amuse Guillaume Desmarets. Ce qui lance le collectif, ce sont ses performances de live painting, des fresques réalisées à une dizaine de mains lors de soirées, du côté de Recyclart, un endroit culturel underground situé à l’époque sous la gare de Bruxelles-Chapelle. Après ces années d’énergie brute pendant lesquelles la structure n’envisage même pas de vivre de son art, c’est vers 2009-2010 que Farm Prod se professionnalise après une expérience au festival Kosmopolite à Paris (Bagnolet). “Cette expérience a été fondatrice pour nous. Nous qui étions considérés comme des ovnis, ce que nous sommes toujours d’ailleurs, ça nous a donné une grande crédibilité car, grâce au réseau qui s’est ouvert, on a pu, par exemple, faire venir un graffeur américain légendaire comme Sonic pour qu’il couvre une façade… à Forest”, se souvient Desmarets.

Quelques exemples des œuvres collaboratives du collectif.
Quelques exemples des œuvres collaboratives du collectif. © Farm Prod/gauillaume desmarets/alexis corrand

Cette visibilité et une approche intégrative -le contexte d’une œuvre est toujours analysé avec soin- ouvrent à la petite bande -cinq personnes à l’atelier aujourd’hui- les portes de la commande publique et privée, voie royale vers la professionnalisation. Qu’il s’agisse de la façade de la boulangerie Charli à Bruxelles, d’une fresque inspirée par Diego Rivera au KVS, d’un parcours Bruegel dans les Marolles, d’une intervention dans un restaurant de Sang Hoon Degeimbre, de nombreuses réalisations pour le parcours BD au cœur de la capitale ou d’un mur peint à 360 degrés dans les sous-sols de Louvain-la-Neuve, les demandes ont plu entre 2010 et 2019, année où la pandémie a marqué un coup d’arrêt à la croissance exponentielle de l’activité. Aujourd’hui, Farm Prod s’est recentré à la faveur d’un double mouvement: lever le pied sur le volet organisationnel et revenir à cette création plurielle, passant sans souci de l’hyperréalisme à l’abstraction, qui signe l’identité du collectif.

Twenty Years of Farm Prod, à LaVallée. Du 01 au 30/09. www.farmprod.be

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