Expo : Traversée du temps dans les cales de Tour & Taxis

Tonnerre de Brest ! L’exposition Une grande histoire de la navigation se tient en ce moment à Tour & Taxis et promet de traverser le temps, de la pirogue néolithique aux porte-conteneurs géants contemporains. Un sujet passionnant, mais une expo qui laisse sur sa faim.

« Hissez la grand-voile, moussaillon ! » Quel meilleur endroit à Bruxelles que les anciens entrepôts de Tour & Taxis, en bord de canal en face de la fresque de Corto Maltese, pour mettre en scène l’histoire de la navigation ? Cette exposition nous propose de voguer à travers les âges pour découvrir les raisons qui ont poussé l’homme à voyager par la mer ou les rivières, mais aussi et surtout les techniques mises en œuvre pour y parvenir.

Après une introduction faite de photos récentes de paysages côtiers, le visiteur est invité à suivre un parcours chronologique qui commence par la préhistoire. Car la navigation remonte à loin : il y a au moins 50 000 ans, les premiers êtres humains se sont installés en Nouvelle Guinée et en Australie, territoires séparés des autres continents par la mer. Pour nous donner une idée des conditions de voyages de ces primo-navigateurs, l’équipe de l’exposition a reproduit à la main l’une des plus anciennes pirogues connues, creusée dans un tronc d’arbre brut au Néolithique.

Rapidement, on arrive à l’Antiquité, où l’on découvre ce qui fait le principal intérêt de l’expo, des maquettes de navires. Certaines ont été réalisées par l’équipe de l’exposition, mais les plus fines ont été commandées à une entreprise spécialisée, des pièces uniques pour les bateaux les plus anciens. On admire ainsi dans cette salle des vaisseaux funéraires égyptiens, une galère romaine ou un navire grec.

On regarde mais on ne touche pas… © A.D
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Autre forme de témoignage mise en avant : les cartes historiques. On découvre ainsi la reproduction à l’échelle 1:1 d’une partie de la Table de Peutinger, véritable carte routière de l’Empire romain de 6 m de long. Les cartes sont encore plus présentes dans la section suivante consacrée au Moyen Âge, où est aussi reproduit l’exceptionnel Atlas catalan, un portulan du XIVe siècle (un type de carte reprenant tous les ports, destiné au cabotage, c’est-à-dire la navigation à proximité des côtes). En face, on retrouve en taille réelle la section de la célèbre tapisserie de Bayeux illustrant la traversée de la Manche par Guillaume le Conquérant en 1066.

La Table de Peutinger (fac-similé de Konrad Miller, 1887)

Après un incongru crochet par le nord chez les Vikings du IXe siècle, la salle consacrée aux Temps Modernes propose l’unique dispositif interactif que propose l’exposition, une carte géante où s’illumine l’itinéraire de trois importants navigateurs des Grandes Découvertes en poussant sur un bouton. Dans la même pièce, on retrouve bien sûr les maquettes des vaisseaux de Christophe Colomb, et on peut feuilleter un fac-similé du journal de Magellan. Deux jonques chinoises côtoient ici encore le Kon-Tiki, expérience archéologique du Norvégien Thor Heyerdahl qui, en 1947, reconstitua un radeau de troncs de balsa pour prouver sa théorie de la traversée du Pacifique par les Incas.

La salle consacrée aux Grandes Découvertes © Arthuria Dekimpe

Ce chapitre se conclut par la pièce immersive de l’expo, reproduction d’un intérieur de cale de bateau, transition vers la dernière vaste salle consacrée à l’époque contemporaine. Elle relate l’industrialisation et la mondialisation des transports, en n’éludant pas ses conséquences écologiques multiples. La visite se termine par la présentation de projets innovants et se voulant respectueux de l’environnement, aux promoteurs accessoirement sponsors de l’exposition. La plus grande maquette de l’expo est ainsi accompagnée d’un panneau au ton promotionnel…

L’expo se termine en évoquant l’impact de la mondialisation sur l’environnement marin © A.D

Un esquif un peu frêle

Car l’exposition, privée et donc non financée par un grand musée, a dû trouver l’argent là où elle le pouvait. Malgré le prix de la visite allant de 9 à 12 euros, n’est pas le Musée Royal d’Art et d’Histoire qui veut, et le manque de moyens pour concrétiser l’ambition de départ est manifeste. Ce qui déçoit surtout, dès la première section, c’est la quasi-absence de pièces originales. On peut surtout admirer des fac-similés d’artefacts conservés dans diverses institutions muséales… Quand ce ne sont pas carrément des photos d’objets (pas toujours en haute résolution) qui sont accrochées aux draps servant de cloisons.

À peu près tous les objets originaux présentés tiennent dans cette vitrine © A.D

Malgré une bonne idée de départ, les nombreuses reproductions des cartes anciennes sur plexiglas souffrent d’un manque de résolution et d’éclairage (au sens propre comme au figuré) qui rendent leur lecture difficile et les cantonnent à de la pure décoration. Car si les panneaux explicatifs sont nombreux et plutôt bien documentés, on regrette un manque de cartes didactiques, qui auraient ajouté une plus-value indéniable pour la compréhension d’enjeux à la dimension géographique est essentielle. 

De manière générale, les explications paraissent un peu déconnectées des objets et maquettes présentés. On sent chez les organisateurs une admiration de la beauté technique des navires, mais peu de clefs de compréhension sont données au visiteur qui ne maîtrise pas le sujet, surtout face aux descriptions jargonneuses succinctes qui accompagnent les maquettes. On conseillera donc aux visiteurs moins avertis de prendre à l’entrée une copie du dossier pédagogique pour enfants, qui contient notamment un schéma des différentes parties d’un bateau…

Autre petite déception, malgré une conclusion de l’expo qui invite à sortir d’une vision eurocentrée de l’Histoire, les témoignages de la navigation en dehors du monde occidental sont trop rares.

Une jonque et le Kon-Tiki (à droite), rares exemples de navires non-occidentaux. © A.D
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Pas de doute, ce périple sur les flots du temps est l’œuvre de passionnés, pétrie de bonnes intentions, et on en sortira moins bête. De cette Grande histoire de la navigation on retiendra donc surtout la cinquantaine de jolies reproductions miniatures de bateaux qui ravira les amateurs, mais la promesse initiale d’exposer « plus de 200 objets et maquettes » est loin d’être tenue pour qui s’attend à voir des originaux. Mille milliards de mille sabords !

Arthuria Dekimpe (st.)

À Tour & Taxis. Plus d’informations : www.expo-navigationbruxelles.be

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