Expo Là où je me terre : comment l’être humain s’adapte à tout

© Laganière Dufresne
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Des artistes aux œuvres nourries par une sensibilité sociologique se penchent sur nos stratégies d’adaptation en milieu hostile.

En 2020, l’autrice et sociologue Caroline Dawson publie son premier roman. L’ouvrage raconte un parcours du combattant: le prix payé par l’intéressée et ses proches afin d’intégrer la société montréalaise après avoir fui la dictature de Pinochet. Intitulé Là où je me terre, le récit égrène ces reniements quotidiens silencieux, comme autant de violences ignorées par le système en place, qu’implique une conformation aux structures dominantes. Ce texte fort, soulignant une plasticité du soi dont l’horizon est double -sauver sa peau mais à quel coût…-, a inspiré la curatrice Mélanie Rainville. L’historienne de l’art s’en est servie pour dessiner les axes d’une exposition infusée par des travaux menés sur le long terme, voire des enquêtes sondant “nos comportements sociaux, de résilience ou de refuge, face aux impasses sociales, économiques ou climatiques subies”.

Comment faire pour habiter un réel perçu comme menaçant? Réponse: en mettant en place des méthodes qui relèvent le plus souvent de l’emplâtre sur la jambe de bois -à l’instar de Detox d’Harold Lechien, installation féroce sur la culture du bien-être, ou de Épaississement, des objets menaçants dont les contours sont atténués à l’aide de longs fils par Maren Dubnick. Autour de cette problématique, la commissaire a convié une dizaine d’artistes aux propos variés, des portraits photo de Charlotte Lybeer à des fictions bourrées d’humour (par exemple, Hormonol de Set & Chloé).

Coupe pleine

Articulée sur deux niveaux, la proposition sans temps faible s’ouvre sur une installation vidéo signée Jean-Maxime Dufresne et Virginie Laganière. Ce duo canadien donne à voir La Lecture de l’air (2021), un film d’un peu plus de 25 minutes détaillant un concept japonais éponyme, universellement vécu mais rarement formulé, consistant à prendre la température d’un groupe de personnes déterminé afin de mesurer si l’on peut ou non s’y insérer sans renier sa subjectivité. À la frontière du documentaire et de l’art, cette œuvre hypnotique brasse large en questionnant le rapport à la nature, l’intelligence des plantes et les formes de désertion qui surgissent en contexte de sociétés normées.

Léa Belooussovitch, quant à elle, aborde la sculpture avec l’acuité qu’on lui connaît pour le dessin sur feutre. Même stratégie d’absorption des chocs pour son Shouting Vase (2023), “vase de colère” à la fonction lubrifiante acheté sur un site nippon et moulé dans le bronze patiné. Refermé par une boule marquée solastalgie, l’objet est un défouloir pour crier son “angoisse ressentie face aux changements climatiques(la définition de solastalgie telle que l’a forgée Glenn Albrecht) sans risquer de se faire entendre par son entourage. On mentionnera encore l’installation de Katherine Longly offrant une incursion, par écrans interposés, dans l’univers des hikikomori, ces nouveaux reclus aux destins si symptomatiques.

Là où je me terre

Exposition collective, à l’ISELP, Bruxelles. Jusqu’au 01/07.

***1/2

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