Artificialia: l’expo de Stephan Balleux qui inaugure la Fondation blan

Le bâtiment de la Fondation blan et son appartement suspendu. © National
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Bruxelles compte un nouveau lieu de culture, la Fondation blan. Accessible gratuitement à tout le monde, cet endroit de vie, d’exposition et de résidences d’artistes sort du lot. Il est inauguré par l’expo Artificialia, à voir jusqu’au 1er juillet.

Atypique. Tel est le mot qui s’impose à l’esprit lorsque l’on découvre la Fondation blan à la veille de son inauguration. Décalé, ce projet l’est jusque dans ses statuts juridiques. Thomas de Wouters (1969), l’initiateur, a pressé le tabellion en charge de l’acte pour qu’il ajoute un préambule cernant l’esprit de cet endroit de rencontre et de création. Les statuts en question font état d’un bazar flottant complètement fou, expression dont on soupçonne fort qu’elle doit constituer un hapax dans la littérature notariale. Ce “sacred bordello”, comme le qualifierait l’artiste Charlemagne Palestine, n’est pas sans évoquer l’esprit du Bateau-Lavoir, phare artistique du Montmartre du début du siècle passé, ou celui des salons littéraires “mais sans l’entregent”, garantit cet ingénieur civil reconverti. “Je voudrais que l’on puisse débarquer ici le vendredi soir comme dans un bistrot et tomber sur un peintre, un musicien ou un poète. C’est l’inverse d’une galerie ou d’un musée. À une époque qui assène des certitudes en permanence, j’aimerais que ce soit un espace pour le doute, pour répondre à l’urgent besoin d’enchantement”, revendique le fondateur de ce qui sera également une résidence pour des plasticiens nationaux et internationaux.

De façon assez spectaculaire, la Fondation blan -un nom en forme d’acronyme composé avec l’initiale des prénoms des quatre enfants de l’intéressé- impose également sa singularité à travers ses lignes bizarres. Ces dernières sont celles d’une maison de maître du début du XXe coincée, pour ne pas dire écrasée, entre deux imposants immeubles alignant chacun près de dix étages. Cette configuration un peu malheureuse de “dent creuse”, comme il la désigne, le propriétaire, guidé par une véritable vision, a réussi à la renverser en imaginant un jardin suspendu sur le toit et surtout en rivant, entre les deux géants de pierre, un parallélépipède d’habitation -c’est là que vit celui qui est également patron d’Umani, une lucrative société de conseil patrimonial aux familles- une vingtaine de mètres plus haut. Le tout pour une vraie prouesse formelle ne manquant pas de faire lever les yeux au passant qui ne peut faire autrement que s’interroger sur le moyen de gagner la structure perchée. Spoiler: un ascenseur se cache à l’arrière de l’édifice. Le subterfuge est d’autant moins visible que depuis fin mars, mimant une inscription dans le marbre, une immense bâche marquée “LA TERRE EST DURE LE CIEL EST LOIN” occulte le vide entre les deux bâtis.

Stephan Balleux inaugure la Fondation blan avec son exposition Artificilia. © Marleen Daniels

Règne du flou

Thomas de Wouters le concède volontiers, il possède une personnalité idéaliste et impulsive habituée à “tout faire à l’envers”. Sans doute faut-il y voir la conséquence du parcours d’un être qui s’est oublié dans la vie professionnelle avant que ne se rappellent à lui brutalement l’urgence et le besoin de sens. Le Bruxellois n’en est pas à son premier coup d’éclat, lui qui en 2014 est parti du jour au lendemain photographier de l’intérieur la révolution orange en Ukraine. L’intimité de cette expérience sous tente avec les insurgés de la place Maïdan a été publiée dans une édition du New York Times, succès qui l’a poussé à multiplier les témoignages visuels de ce type. La Fondation blan est sans doute à comprendre également comme un autre de “ces voyages dont on ne sait pas où ils vont mener”, à mille lieues de la destinée rectiligne d’initiatives bruxelloises du même acabit tel que la Fondation CAB, dédiée à l’art conceptuel, ou la Fondation Boghossian, œuvrant au rapprochement Orient-Occident. À la différence que cette fois, il est entrepris avec d’autres -un cénacle constitué entre autres de la sculptrice Tania Wolski et de la poétesse Elya Verdal. D’ailleurs, le conseil de la fondation n’est pas le seul à témoigner du besoin d’altérité, il y a aussi Stephan Balleux (1974) qui signe Artificialia, une foisonnante exposition accompagnant l’ouverture du lieu. Elle s’annonce comme la promesse d’un programme éclectique éclairé, marqué par la transversalité à travers de nombreux événements. Déployé au premier étage et au sous-sol, le travail de l’artiste belge est le fruit d’une longue gestation ponctuée par “six mois de création intensive” en amont de la monstration -une centaine de pièces au total dont certaines créées spécifiquement pour l’exposition. Plus que jamais l’œuvre peinte de Balleux, ainsi que ses ramifications en trois dimensions ou sur écran, se révèle virtuose, elle qui en un certain sens s’est construite contre le matérialisme pictural d’un Luc Tuymans.

Les œuvres de Stephan Balleux s’intègrent dans l’hôtel de maître début XXe rénové avec soin. – © Marleen Daniels

Le travail de Balleux se découvre comme une immense machine à déjouer les attendus de la peinture qui tourne à plein régime dans ce recoin du sous-sol où l’accrochage biscornu sonde la thématique de la généalogie (représentations familiales, autoportrait du peintre portant les têtes de ses enfants…). On pourrait comparer sa pratique à un fusil qui tire dans les coins du fait de son propos rusé. Derrière la figuration, qu’il s’agisse d’une imagerie empruntée à Visconti époque Les Damnés, d’interventions sur des documents d’époque, voire de compositions abstraites, c’est soit la question de la matière qui est abordée -le peintre prend un plaisir manifeste à redistribuer les textures- soit celle du statut de l’image -Balleux collectant compulsivement les iconographies. C’est tout particulièrement vrai à travers l’utilisation iconoclaste qu’il fait de l’aérographe. En résulte un flou rappelant Gerhard Richter en ce qu’il se découvre comme une redoutable stratégie critique pour effacer les frontières entre culture populaire et culture savante, entre forme et matière.

Artificialia ****, une exposition de Stephan Balleux à découvrir jusqu’au 01/07 à la Fondation blan, Bruxelles. www.fondationblan.org

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