Emma Dante: « Nous ne devrions pas avoir peur de la mort, parce qu’elle ne constitue un problème que pour les vivants »

Cinq soeurs en tête d'un joyeux cortège palermitain.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Pour son second long métrage, la dramaturge Emma Dante adapte sa pièce Le Sorelle Macaluso, déployant dans le temps la relation de soeurs confrontées à une tragédie. Un film touché par la grâce.

Découvert à la Mostra de Venise en 2014, Una via a Palermo consacrait le passage derrière la caméra de la dramaturge Emma Dante, pour un film empruntant à la typologie du western le temps d’un duel opposant deux conductrices irascibles dans une ruelle de Palerme. La ville sicilienne tient lieu aujourd’hui d’arrière-plan à son second long métrage, Le Sorelle Macaluso (lire notre critique), un film adapté de sa pièce éponyme (que l’on avait pu apprécier en son temps au National), et mettant en scène cinq soeurs vivant dans un appartement délabré, surmonté par un pigeonnier où elles élèvent les colombes qu’elles louent pour des mariages. « À l’origine de la pièce, il y avait mon envie de raconter une histoire de femmes, nous expliquait la cinéaste en septembre dernier à Venise. L’idée des soeurs est venue ensuite, quand j’ai réalisé que je voulais qu’il s’agisse d’une véritable famille, mais sans parents… » Une absence qui ne manque pas de surprendre dans un premier temps, alors qu’on les découvre, toutes jeunes filles encore, livrées à elles-mêmes et s’apprêtant à aller passer une journée à la plage. « À l’écriture, se souvient Emma Dante, nous avions pensé donner à cette famille des contours traditionnels, avec un père et une mère dont on aurait connu les occupations. Mais au bout d’un moment, nous nous sommes rendu compte que si on voulait aller vers une fluidité et une liberté totales, il fallait s’affranchir de la famille traditionnelle. Du coup, les parents n’ont plus constitué un problème: nous nous sommes dit que ce serait simplement une famille pas très correcte, et nous avons pu pleinement apprécier la liberté dont jouissaient dès lors les soeurs… »

Emma Dante:

Accepter la mort

Soit Maria, Pinuccia, Lia, Katia et Antonella, composant un tout dont elles sont chacune un maillon essentiel, différentes mais idéalement complémentaires. Des soeurs que le film va accompagner à trois âges de la vie, alors que la tragédie les a durement frappées, sans toutefois que leur unité fondamentale s’en trouve altérée. « Le temps du cinéma est totalement différent de celui du théâtre, relève la réalisatrice. La pièce reposait sur l’idée de l’espace alors que le film s’appuie sur celle du temps. Sur les planches, l’espace était complètement vide, et animé seulement de leur présence à tour de rôle. Mais l’espace et le temps sont les deux faces d’une même pièce, si bien que pour le film, nous avons opté pour une promiscuité temporelle, où la jeunesse pourrait subsister à l’âge adulte, et celui-ci se prolonger dans la vieillesse. » Idée simple et lumineuse pour suggérer l’intemporalité et l’irréductibilité du lien les unissant, le film recourant avec bonheur aux ellipses. Non sans atteindre une qualité organique, infusée par le naturel de ses comédiennes. Ce sentiment de vérité, Emma Dante l’a notamment obtenu en organisant les répétitions dans l’appartement servant de décor principal à l’histoire: « J’ai dirigé les actrices, mais aussi la maison en quelque sorte, pour que cet appartement devienne comme une sixième soeur dont la présence pèse également sur les événements. Nous avons fait deux semaines de répétition, pendant lesquelles la caméra est à son tour devenue une septième soeur. »

Emma Dante:

S’ensuit un ballet fascinant, brassant une matière sensible en jonglant avec la ligne du temps pour charrier des émotions intenses en quelque mouvement où la vie et la mort sont appelées à se confondre. « Il faudrait apprendre à traiter la mort comme on traite la vie, à la gérer exactement de la même façon, conclut Emma Dante. Nous ne devrions pas avoir peur de la mort, parce qu’elle ne constitue un problème que pour les vivants, pas pour ceux qui meurent. Dans mon film, j’ai veillé à ne pas établir de hiérarchie, mais à montrer qu’il faut vivre avec elle comme on le fait de la vie. Il faut adopter le même comportement: accepter la mort dans la vie est très important. » Ce dont les sorelle Macaluso apportent, du reste, une vibrante démonstration, unies qu’elles sont, par-delà toute autre considération, à la vie, à la mort…

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